Par Slim BEN YOUSSEF
À Kélibia, les écrans s’allument sous un ciel d’été que la mer prolonge en clair-obscur. Le FIFAK, à la fois communauté et cinéma, fête et conscience, ouvre cette 38ᵉ édition par un geste grave : la consacrer à la Palestine, alors que le génocide se poursuit à Gaza depuis octobre 2023.
En ouverture, un documentaire rare : Broken du réalisateur et producteur suisse Stefan Ziegler. Le film aborde la Palestine non par les images convenues de guerre, mais par le langage du droit, en scrutant le mur érigé par les Sionistes dans les Territoires occupés. Témoignages intimes, preuves premières : un matériau brut pour une vérité nue, rappelant qu’un mur n’est pas seulement du béton ; c’est aussi une fracture juridique, une cicatrice humaine, une blessure politique.
Une frontière d’humanité ? Elle est franchie par d’autres images : des courts métrages d’animation réalisés par des enfants de Gaza. Leurs dessins fragiles, projetés à Kélibia, déplacent la ligne de front. Ils transforment le crayon en caméra, la douleur en récit, le jeu en mémoire. Ces films ne durent que quelques minutes, mais chaque minute contient une vie entière.
Depuis 1964, le FIFAK est un foyer d’épanouissement pour les cinéastes amateurs et un foyer de résonance pour les causes universelles – les causes justes. Chaque été, il devient à la fois kermesse populaire et laboratoire visuel, cabaret d’images et séminaire d’idées. On y vient pour les projections, les débats, les errances nocturnes. On y reste pour ce mélange introuvable ailleurs : engagement, plaisir, liberté.
Le FIFAK a toujours assumé ce rôle : une scène pour la jeunesse tunisienne, un miroir pour ses rêves, un écran pour ses colères. Les clubs de la FTCA en sont l’ossature : viviers militants, creusets d’idées, refuges d’expérimentation. Ici, une fiction tâtonne à côté d’un documentaire tranchant ; là, une animation bricolée converse avec une expérimentation sonore. C’est la vérité du cinéma amateur : pauvre en moyens, riche en trouvailles, souverain en liberté.
On le répète : le cinéma ne change pas le monde. Soit. Mais il transforme ce qui demeure du monde dans la mémoire. Il désarme le mensonge, fissure les silences, réinvente les récits. Et si l’on devait définir le cinéma amateur ? Une école du regard, un art du possible, un chantier de liberté.
À Kélibia, la jeunesse cadre ses printemps ; à Gaza, on cadre les ruines. Le geste paraît le même : tenir une caméra, tenir une promesse, tenir debout. Et quand les écrans s’ouvrent, c’est une mer entière qui se lève contre l’indifférence.
