Par Slim BEN YOUSSEF
Au FIFAK, l’écran à ciel ouvert tient lieu de foyer. L’été y souffle sur des braises anciennes, et déjà naissent d’autres étincelles. Les lumières, obstinées et fugaces, se faufilent d’un plan à un contour, d’une nuit de Kélibia à l’autre. Elles frottent l’ombre, tirent du noir l’inattendu, rassemblent des fragments épars du réel. Inopiné, insaisissable, perdu – ce qui manque surgit.
Lumières invisibles de Wiem Rebah. Un iPhone braqué, non sur des visages, mais sur des ombres qui montent une scène, nouent des câbles, inventent une fête. La caméra efface les corps, compose une chorégraphie de silhouettes – comme si le contre-jour lui-même révélait le patient labeur de ses artisans tacites, héritiers secrets des clairs-obscurs expressionnistes. Le son – rumeur, résonance, vibration – prolonge ce que l’œil perd. Reflet, frisson, scintillement : un cinéma qui fait de l’absence sa matière.
Love lost City de Mayssa Maaoui. Noir et blanc : un amour s’étiole, une cité se délite. Elle veut financer un film, il veut financer leur couple. Entre les deux, l’usure. Le récit se dissout dans le spleen. La ville devient miroir de la lassitude, vitrine de la décadence, tombeau de l’amour. Dans ses rues, les manifs propalestiniennes bruissent : échappatoire fragile où se déplacent les désirs déçus. Ici la lumière n’éclaire rien : elle délave, elle assourdit, elle décolore, elle corrode. Le film a pourtant eu lieu : cliché archétypal, comme si le cinéma n’avait d’autre sujet que sa propre impossibilité.
202 Mankhafech de Haythem Mghuirbi. Béni Khiar, moteurs rugissants, virées insensées. Chaima et son oncle Hamdi vivent pour rouler, roulent pour vivre : la passion comme ivresse, comme vertige, comme stigmate. Le film dévale les pistes : forêts avalées, dunes embrassées, chocs encaissés. La caméra, un peu sage, n’égalait pas l’exubérance des personnages. Pourtant, elle célèbre comme il se doit la tribu des motards, ses plaisirs, ses vitesses, ses plaies. Lumière fraîche, déjantée, insoumise : un documentaire trépidant, digne des nuits de Kélibia.
Wadi Trabelsiya de Wadii Klaai. À Hammam Lif, quartier indocile, labyrinthe délabré, jeunesse à l’arrêt, colère en mouvement. Drogues, braquages, meurtres : chronique du désœuvrement. L’horizon unique : la mer à brûler. Le rêve obstiné : rejoindre l’ailleurs. Ici la lumière n’adoucit rien : elle décape le réel, elle insiste, elle creuse la plaie. Fiction mimant le documentaire, regard cru qui ne cille pas : le cinéma amateur, lorsqu’il filme dans les failles et les franges, atteint sa splendeur.
Le FIFAK demeure cela : un pluriel de lumières brutes. Certaines aveuglent, d’autres vacillent, d’autres jaillissent aux marges. Le cinéma : art de rendre visible, d’embraser l’éphémère.
