Il faut considérer ceci : un art s’éteint moins par manque d’audace que par excès de paperasses.
En Tunisie, on aligne le cinéma en colonnes de chiffres, en formulaires de rêves. On croit désormais qu’un film commence par un copinage et s’achève par une subvention. Le processus de financement devient scénario unique, intrigue obsessionnelle, drame sans fin. Dans les esprits, l’argent et les accointances se sont faits condition première, verrou, fétiche, horizon étroit. Un projet sans circuit devient cadavre annoncé. Un tournage sans fonds devient lacune justifiée. Comme si le cinéma, dans notre pays, n’avait plus d’autre sujet que son impossibilité même.
À Kélibia, il reprend chair et air. La toile, gardée par un vent têtu, lui sert de poumon. Et le premier souffle revient : ombres, lumières, mouvement, durée — un désir de raconter, un regard qui commence.
Le cinéma amateur apprend à filmer sans filet, à tendre une caméra comme on saisit une chance, à improviser des images dans le tumulte ou le silence. Ce qui manque d’argent se rend en ferveur, ce qui manque de moyens s’achève en patience. Et parfois, un plan, une silhouette, un grondement lointain, une résonance — et le monde recommence.
Définir le cinéma amateur, c’est dire ceci : engagement, plaisir, liberté.
Engagement : un plan, c’est à la fois un acte d’existence, un combat pour le juste, une défense du monde tel qu’on le rêve.
Plaisir : l’image s’y invente sans détour, sans entrave, sans carcan, sans remords.
Liberté : aucune loi du marché n’y asservit la lumière.
Et peut-être aussi persistance : parce qu’une caméra entre des mains obstinées suffit à prolonger le monde.
Le FIFAK rappelle ceci : que l’art se sauve par ses marges et ses failles, qu’un regard passionné tient lieu de manifeste, qu’un film est d’abord pari téméraire avec ceux qui regardent. Qu’une étincelle suffit là où des millions s’épuisent. Là, l’écran est modeste et immense, fragile mais souverain. La fête y nargue l’industrie : elle est feu de bois, cercle de visages, rémanence ardente des étés qui reviennent.
Sauver le cinéma, c’est sauver ce désir, sa nécessité, son obstination.
En Tunisie, le cinéma amateur sauvera le cinéma.
