En plein été, alors que la chaleur accentue les besoins en eau potable, le pays a de nouveau été secoué par une série de coupures, de fuites et de protestations liées à la distribution. Selon les données publiées le vendredi 5 septembre 2025 par l’Observatoire tunisien de l’eau (OTE), pas moins de 310 alertes citoyennes ont été recensées durant le mois d’août. Ce chiffre reflète non seulement l’ampleur des perturbations vécues par les citoyens, mais aussi la profondeur d’une crise hydrique qui s’installe durablement dans le paysage national.
Parmi ces 310 alertes, on relève 267 signalements concernant des coupures non annoncées. Ces interruptions imprévisibles du service d’approvisionnement créent un climat de frustration et de méfiance vis-à-vis des opérateurs publics, mais aussi des autorités locales.
Les familles, privées d’eau parfois pendant plusieurs jours, peinent à assurer les besoins les plus élémentaires : boire, cuisiner, se laver ou entretenir un minimum d’hygiène. Le problème n’est pas uniquement domestique. De nombreux commerces, restaurants et petites entreprises souffrent de ces coupures soudaines, qui perturbent leur activité et entraînent des pertes économiques. Les hôpitaux et établissements scolaires, déjà fragilisés par d’autres contraintes structurelles, sont également exposés à de graves dysfonctionnements lorsqu’ils ne disposent pas d’eau en continu.
Face à cette situation, 29 alertes de protestations collectives ont été recensées au cours du mois d’août. Dans plusieurs localités, les habitants sont descendus dans la rue pour revendiquer leur droit à l’eau, parfois en bloquant les routes ou en organisant des sit-in devant les sièges régionaux de la SONEDE (Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux). Ces mobilisations témoignent d’un ras-le-bol croissant et d’un sentiment d’abandon, notamment dans les régions intérieures.
Des fuites et une qualité de l’eau préoccupante
On signale également huit alertes liées à des fuites. Ces pertes, qui concernent aussi bien les canalisations principales que les réseaux de distribution secondaires, aggravent la pénurie. Selon certains experts, le taux de gaspillage lié aux fuites d’eau en Tunisie dépasserait 30% dans certaines régions, révélant une infrastructure vieillissante et mal entretenue. À cela s’ajoutent six signalements concernant la qualité de l’eau distribuée. Dans certaines zones, les habitants dénoncent une eau trouble, au goût ou à l’odeur inhabituelle, parfois impropre à la consommation. Cette situation pose un problème de santé publique et alimente la défiance envers les institutions.
L’Observatoire tunisien de l’eau souligne que certains gouvernorats sont particulièrement touchés. Le Kef arrive en tête avec 36 alertes en août, confirmant que le Nord-Ouest, région agricole par excellence, souffre aussi de difficultés majeures en matière de distribution d’eau potable. Ben Arous suit avec 26 alertes, montrant que la crise n’épargne pas la capitale et sa banlieue, pourtant mieux desservies en infrastructures. Les gouvernorats de Gabès (21 alertes), Médenine (20) et Bizerte (20) figurent également parmi les zones les plus touchées. La carte dressée par l’OTE illustre ainsi l’ampleur du problème, qui ne se limite plus aux zones rurales mais frappe aussi les grandes villes et les régions côtières.
Défaillances structurelles
Au-delà des chiffres, la crise de l’eau révèle des défaillances structurelles. Le pays souffre depuis des décennies d’une mauvaise gestion de ses ressources hydriques, marquée par un manque d’entretien des réseaux, des politiques agricoles gourmandes en eau et une urbanisation rapide. Le changement climatique accentue ces fragilités. Les épisodes de sécheresse sont plus fréquents et plus intenses, réduisant la recharge des nappes phréatiques et fragilisant les barrages. Selon les projections, la Tunisie pourrait perdre jusqu’à 30% de ses ressources en eau renouvelables d’ici 2030, ce qui rend la question de la gestion durable encore plus pressante.
L’accès à l’eau potable est reconnu comme un droit fondamental par les conventions internationales. En Tunisie, sa remise en cause alimente la contestation sociale. Les coupures répétées ne sont pas seulement vécues comme un problème technique, mais comme une atteinte à la dignité et à l’égalité entre citoyens. La multiplication des protestations autour de la «carte de la soif» démontre que la gestion de l’eau est devenue un sujet majeur.
Les 310 alertes recensées en août 2025 ne sont pas de simples statistiques. Elles traduisent la réalité quotidienne de milliers de familles, d’entreprises et d’institutions contraintes de vivre avec un accès limité ou incertain à l’eau. Face à cette crise, la Tunisie n’a plus le luxe d’attendre. Moderniser les réseaux, réduire les fuites, diversifier les sources d’approvisionnement et instaurer une gouvernance transparente sont des impératifs immédiats. Sans un plan d’action ambitieux, la «carte de la soif» risque de s’imposer durablement comme le miroir des défaillances en la matière. Et, d’ailleurs, le Chef de l’Etat n’a eu de cesse de pointer ces dysfonctionnements qui deviennent d’ailleurs suspects, parce que sciemment provoqués par des esprits malfaisants.
Leila SELMI
