Figure issue du courant nationaliste arabe et proche de Béchir Essid, ancien bâtonnier et secrétaire général adjoint de l’Union des avocats arabes, Boubaker Bethabet a été élu à la tête de l’Ordre national des avocats de Tunisie, par une majorité écrasante des voix dès le premier tour, avec 2193 voix. Il devance ainsi et de loin tous les autres candidats dont Mohamed Mahjoub qui a obtenu 498 voix, Mohamed Hedfi 422 voix, HassèneToukebri 308 voix, Najla Briki 184 voix Abderraouf Ayadi 150 voix, tandis que Badreddine M’hiri n’a obtenu que 33 voix et Nidhal Kraïem seulement 5 voix. Il est à rappeler que plus de quatre mille avocats ont participé au vote.
Avocat connu pour son engagement en faveur des droits et des libertés, Bethabet a su fédérer autour de lui un large soutien, porté par une volonté de rupture avec une période jugée «difficile et controversée» par une grande partie de la profession.
Outre les enjeux politiques qui traversent le pays, le nouveau bâtonnier entend se pencher sur plusieurs dossiers cruciaux : la réforme de la caisse de retraite des avocats, la fiscalité de la profession, ainsi que le renforcement des relations avec les magistrats et l’ensemble des acteurs de la justice. Pour nombre de ses confrères, ce vote est avant tout une réaction à une séquence perçue comme «l’une des plus sombres et décevantes de l’histoire récente du barreau, marquée par la présidence de Hatem Meziou». Le scrutin traduit ainsi une aspiration collective à davantage d’unité, de responsabilité et de crédibilité, mais aussi à un retour aux fondamentaux de l’engagement professionnel et éthique des avocats. En élisant massivement Bethabet, les avocats ont voulu adresser un message fort et sans ambiguïté, celui de leur attachement inébranlable à l’indépendance de leur profession et de leur volonté de restaurer le rôle historique du Barreau dans la vie démocratique tunisienne.
Rompre avec l’immobilisme
Cette élection dépasse donc le simple changement de visage à la tête de l’Ordre : elle marque un véritable tournant, celui d’une profession décidée à rompre avec l’immobilisme et à reprendre toute sa place dans le débat public national. Pour l’ancien bâtonnier et secrétaire général adjoint de l’UAA, Béchir Essid, il est grand temps que les promesses régulièrement brandies durant les campagnes électorales cessent de rester lettre morte. Il rappelle que chaque bâtonnier, à sa manière et selon les moyens dont il disposait, a tenté de concrétiser ses engagements, toutes proportions gardées bien sûr, mais que les défis évoluent et se renouvellent en fonction de la conjoncture du moment. Aujourd’hui, les attentes sont d’autant plus fortes que le contexte économique, social et politique est marqué par une perte de confiance dans les institutions et par une exigence accrue de transparence et de responsabilité. Le nouveau bâtonnier devra engager des réformes structurelles, notamment en matière de protection sociale, de fiscalité, de formation continue et de discipline professionnelle. Au-delà des discours, c’est sur sa capacité à traduire ses engagements en actions concrètes que se joueront la crédibilité de son mandat et, plus largement, celle de l’Ordre aux yeux des avocats comme du grand public.
Restaurer la probité de la profession
Mais l’un des défis les plus délicats reste celui de la restauration de la probité de la profession. Ces dernières années, des dérives individuelles ont entaché l’image du Barreau et jeté le doute sur l’intégrité de certains de ses membres. Ces pratiques isolées, souvent motivées par des intérêts personnels, ont fragilisé la confiance entre les justiciables et leurs défenseurs. Le nouveau bâtonnier devra donc affirmer avec fermeté que l’éthique n’est pas une option mais le socle même de la profession. Cela passe par un renforcement des mécanismes disciplinaires, une application rigoureuse du code de déontologie et une sensibilisation continue des jeunes avocats aux valeurs de probité, de dignité et de loyauté. L’enjeu est de taille : redonner ses lettres de noblesse à une profession qui a longtemps été un pilier de la défense des droits et des libertés, et qui ne peut retrouver toute sa légitimité que si elle se montre irréprochable dans sa conduite et unie dans ses principes. Selon Me Baccar, avocat près la cour de cassation et la cour pénale internationale, «il serait souhaitable d’éviter, voire d’éradiquer toute obédience à une quelconque formation ou tendance politique, afin de ne se consacrer qu’à la défense des droits et des libertés».
L’avocat, partenaire de justice
En définitive, cette élection consacre bien plus qu’un nouveau bâtonnier, une volonté collective de renaissance et de redressement. Le Barreau tunisien, fort de son histoire et de l’importance de son rôle, ne peut se contenter d’être spectateur des bouleversements que traverse le pays. Comme l’affirme l’ancien bâtonnier Lazhar Karoui Chebbi dans son ouvrage «Tissu de mémoire», l’avocat est un partenaire de justice qui doit savoir gérer ses relations avec les magistrats «qui ne sont pas exemptes parfois d’échanges vifs, d’accrochages, voire de suites disciplinaires». Il lui appartient de redevenir un acteur central de la défense des droits, de l’État de droit et des libertés fondamentales, mais aussi un modèle de rigueur éthique et de responsabilité. Le mandat qui s’ouvre aujourd’hui ne sera pas bien sûr sans embûches, mais il porte l’espoir d’un barreau rassemblé, exemplaire et fidèle à sa mission première consistant à servir la justice avec honneur, probité et courage. Par ses déclarations, Boubaker Bethabet a affirmé sa volonté d’inscrire son mandat sous le signe du renouveau consistant à rompre avec l’immobilisme, de préserver l’indépendance du Barreau et de consolider son rôle dans la vie démocratique tunisienne.
Ahmed NEMLAGHI
