La nouvelle loi sur les chèques a nettement changé les pratiques usuelles de la vente avec facilité. Et si, aujourd’hui, la traite reste l’unique solution pour ces arrangements, les contraintes et les complications ne manquent pas et ceux qui ont choisi cette solution de paiement en différé doivent en tenir compte et faire attention…
Autrefois largement utilisée, la lettre de change avait vu son usage décliner au profit du chèque. Or, la nouvelle loi sur l’utilisation des chèques avec ses restrictions législatives, notamment en tant que moyen de garantie, a ravivé l’intérêt des acteurs économiques, entreprises et commerçants, pour la lettre de change en particulier pour les paiements différés ou échelonnés.
Cet état des lieux vient d’être confirmé par le dernier bulletin Paiements en chiffres» publié par la Banque centrale de Tunisie (BCT) qui confirme que les chèques traditionnels continuent de reculer, tandis que les lettres de change, virements, cartes et paiements électroniques enregistrent des hausses significatives.
Cette évolution traduit un basculement progressif vers des solutions numériques et dématérialisées, au détriment des moyens de paiement classiques.
Le nombre de lettres de change utilisées a bondi de +155% pour atteindre 2,1 millions, représentant une enveloppe globale de 25,6 milliards de dinars. A l’inverse, les chèques ont chuté de -66,8%, à 4 millions de chèques, soit un montant total de 27,6 milliards de dinars. Les virements connaissent une hausse de +9,7%, totalisant 18,5 millions d’opérations pour un montant de 37,6 milliards de dinars.
Attention aux délais
Il faut rappeler que la lettre de change constitue une forme de garantie en matière de recouvrement civil, à l’instar des chèques, si les procédures appropriées sont respectées. En réalité, la lettre de change offre une garantie civile comparable à celle du chèque, sous réserve du respect de certaines procédures. En cas de défaut de paiement, le bénéficiaire doit impérativement faire établir un protêt par un huissier de justice, dans les 48 heures suivant l’échéance. Ce protêt permet ensuite d’obtenir une ordonnance d’injonction de payer exécutoire dans les 24 heures.
C’est la raison pour laquelle il est crucial que la banque notifie rapidement son client du non-paiement, car le délai de 48 heures pour le protêt est impératif. Un dépassement de ce délai contraint le bénéficiaire à engager des procédures judiciaires plus longues et complexes.
Cependant, près d’une lettre de change sur dix a été rejetée au cours du premier trimestre 2025, soit un milliard de dinars d’effets impayés, faute de provisions suffisantes sur les comptes des émetteurs. Un niveau jugé particulièrement préoccupant par les observateurs économiques.
L’intérêt, un éternel problème
Comment va-t-on facturer l’intérêt défini par les deux parties concernées par ces lettres de change ? La question mérite d’être posée car la loi interdit d’appliquer des intérêts lors des ventes à crédit par des commerçants.
En Tunisie, le Code des Obligations et des Contrats encadre strictement la facturation d’intérêts. Entre commerçants, leur stipulation est présumée, mais elle doit être écrite entre non-commerçants. Parallèlement, dans la finance islamique, le principe du Riba interdit toute rémunération basée sur l’intérêt, perçue comme une exploitation injuste. Cette double contrainte légale et religieuse influence directement la manière dont les entreprises organisent leurs ventes à crédit.
Pour les PME, l’absence d’intérêts implique une perte de revenus liés au financement différé. Elle accroît aussi le risque de défaut ou de retard de paiement, puisque l’entreprise supporte seule la charge du crédit consenti. Certaines préfèrent alors privilégier le paiement comptant, ce qui réduit l’accès de nombreux clients à certains biens ou services.
Face à ces contraintes, des solutions innovantes se développent. Dans le commerce en ligne, plusieurs plateformes tunisiennes ont adopté le modèle Buy Now, Pay Later (BNPL), permettant au client de payer en plusieurs fois sans frais, tandis que le commerçant reçoit immédiatement la totalité du montant. Dans l’automobile, certains concessionnaires proposent des plans de financement à taux zéro, intégrant le coût du crédit dans le prix final du véhicule.
Les grandes surfaces et enseignes de distribution, pour leur part, s’y mettent également en offrant des crédits gratuits sur l’électroménager ou le mobilier. Ces formules reposent souvent sur des partenariats avec des institutions financières, qui proposent des contrats adaptés comme la «murabaha» ou la location-vente. Enfin, des PME innovantes orientées vers le développement durable recourent à des mécanismes de financement participatif ou de partage de profits, conciliant éthique et compétitivité.
Il faut dire que ces nouveaux mécanismes de vente avecs facilité deviennent une nécessité pour satisfaire tout le monde. La nouvelle loi sur les chèques, avec ses lourdes contraintes, a poussé près de 30% de citoyens à reporter leurs importants achats, le temps de trouver d’autres solutions pour y parvenir. A présent, avec l’utilisation de plus en plus maîtrisée des lettres de change, une nette reprise est enregistrée, de quoi rassurer les commerçants et ne pas briser l’élan des citoyens qui espèrent acquérir leurs besoins essentiels selon leur pouvoir d’achat et leur capacité de paiement.
Ce ne sera pas aussi facile que prévu, mais avec la pratique, la confiance finira par être mieux rétablie pour permettre une reprise rapide de la vente avec facilité qui a toujours été le principal stimulant pour booster l’activité commerciale.
Kamel ZAIEM
