Le retard de remboursement des pharmaciens d’officine par la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) à titre de prise en charge des médicaments dans le cadre du régime du tiers-payant est en train de produire une dangereuse boucle de non-paiement, qui menace l’ensemble du système de distribution des médicaments.
La Chambre syndicale nationale des pharmaciens grossistes-répartiteurs (CSPGR) a sonné, dans un communiqué le tocsin sur cette prise en otage du système national de distribution des médicaments par une crise de dette, née d’une série de dysfonctionnements interconnectés au sein des institutions publiques, dont la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) et la Caisse nationale de retraite et de prévoyance sociale (CNRPS).
«Les retards enregistrés dans le paiement des pharmaciens d’officine par la CNAM se répercutent directement sur les grossistes-répartiteurs qui se trouvent face à des difficultés financières suffocantes et n’ont plus la capacité d’honorer leurs engagements en matière de paiement de la Pharmacie centrale et des laboratoires pharmaceutiques», a souligné la chambre.
Elle a également précisé que la situation des pharmaciens grossistes-répartiteurs est «très précaire, en raison de la faiblesse de leur marge bénéficiaire qui fait que tout retard de paiement par les officines leur cause de graves problèmes de liquidités et un risque élevé de faillite».
Notant que certains professionnels du secteur sont déjà à deux doigts de la faillite effective, la chambre syndicale nationale des pharmaciens grossistes-répartiteurs a mis en garde contre un «effondrement total du système de distribution des médicaments» qui compromettra la continuité de l’approvisionnement du marché et le droit d’accès aux soins, si la situation actuelle perdure.
Elle a d’autre part appelé les pouvoirs publics à trouver des solutions urgentes pour régler l’ensemble du dossier en engageant des réformes structurelles globales à même de garantir la pérennité du secteur, tout en notant que tout retard supplémentaire dans le traitement de cette crise risque d’obliger les grossistes-répartiteurs à cesser l’approvisionnement des pharmacies non solvables.
La CNSS et la CNRPS puisent dans les avoirs de la CNAM
Le cri de détresse des pharmaciens grossistes-répartiteurs intervient une dizaine de jours seulement après l’annonce par le Syndicat des pharmaciens d’officine (Spot) de la suspension du système du tiers payant pour les médicaments destinés aux maladies ordinaires à compter du 1er octobre prochain, tout en maintenant la prise en charge des traitements destinés aux maladies chroniques et lourdes (APCI et AP). Cette décision est motivée par les retards dans le paiement des pharmaciens d’officine par la CNAM pouvant aller jusqu’à 180 jours, qui plongent les officines dans une situation financière critique. «Les solutions partielles et les mesures palliatives ne suffisent plus. Des réformes structurelles et des mesures d’accompagnement des officines sont nécessaires pour garantir la pérennité des officines et la continuité des prestations de soins», a martelé le syndicat, rappelant que les pharmaciens ont compté depuis fin 2024 sur leurs propres moyens et sur des crédits bancaires pour fournir les médicaments aux patients.
Le Syndicat des pharmaciens d’officine a d’autre part appelé ses adhérents à participer massivement à une Assemblée générale extraordinaire prévue le 25 octobre prochain pour prendre les mesures nécessaires au sauvetage des officines et à la préservation des intérêts de la profession.
Dans le cadre du tiers payant, le pharmacien conventionné avec la CNAM perçoit de l’assuré social 30% du montant global de l’ordonnance, et ce, sur la base du prix public des médicaments dispensés. Le reste du montant de l’ordonnance, à la charge de la caisse, fait l’objet d’un décompte adressé au centre de référence (centre régional ou local de la caisse désigné par le pharmacien conventionné), afin que la caisse procède au paiement intégral du pharmacien dans un délai de 14 jours ouvrables à compter de la date de réception du décompte, et ce, par virement bancaire ou postal au compte indiqué dans le dossier d’adhésion. Dans la pratique, ce délai de paiement peut cependant aller jusqu’à six mois.
L’origine du mal se trouve dans les déséquilibres financiers des régimes de retraite, qui obligent la CNSS et la CNRPS à ne pas verser à la CNAM sa part dans les cotisations des assurés sociaux pour continuer à verser les pensions des retraités. Les dettes de ces deux caisses envers la CNAM ne cessent d’enfler depuis 2015, année durant laquelle les autorités ont fait le choix de privilégier le versement des pensions de retraite en puisant dans les ressources du régime national d’assurance-maladie, au lieu de procéder à une réforme audacieuse et urgente des régimes de retraite. Ces dettes ont atteint 8,7 milliards de dinars à fin 2022, selon le dernier rapport du ministère des Finances sur les établissements publics publié en janvier 2024.
Walid KHEFIFI
