Le bulletin de la conjoncture énergétique pour le mois d’août 2025, publié par le ministère de l’Énergie et des Mines, met en lumière une évolution significative dans la structure d’approvisionnement de la Tunisie en gaz naturel. En un an, les achats de gaz algérien ont augmenté de 19 %, atteignant 1 923 ktep-pci à fin août 2025 contre environ 1 615 ktep à la même période de 2024. Cette progression illustre la dépendance croissante du pays vis-à-vis des importations pour satisfaire sa consommation énergétique, dans un contexte de baisse continue de la production nationale.
Entre août 2024 et août 2025, l’approvisionnement total de la Tunisie en gaz naturel a connu une hausse globale de 9 %, passant à 3 403 ktep.
Si, en apparence, ce chiffre traduit une amélioration de la disponibilité énergétique, l’analyse détaillée des sources montre une dynamique moins favorable : cette hausse est essentiellement tirée par les importations, tandis que la production nationale continue de reculer.
Les ressources en gaz naturel, qui regroupent la production nationale et le forfait fiscal sur le transit du gaz d’origine algérienne, se sont limitées à 1 358 ktep-pci, enregistrant une baisse de 8 % par rapport à la même période de l’année précédente. La production nationale de gaz commercial sec, composante principale de ces ressources, a diminué de 6 %, confirmant la tendance à la baisse déjà observée depuis 2023. Parallèlement, le forfait fiscal sur le passage du gaz algérien, perçu par la Tunisie pour le transit du gaz vers l’Italie, a également reculé de 11 %.
Cette contraction simultanée de la production et du forfait fiscal réduit considérablement la part des ressources internes dans le bouquet énergétique national. En conséquence, la Tunisie se voit contrainte d’intensifier ses achats auprès de son voisin algérien pour répondre aux besoins de consommation intérieure, principalement ceux de la Société Tunisienne de l’Électricité et du Gaz (STEG).
La part du gaz importé atteint un niveau record
La répartition de l’approvisionnement national en gaz naturel par source montre d’ailleurs clairement ce glissement : la part du gaz national est passée de 26 % à 23 % en un an, celle de la redevance perçue en nature et cédée à la STEG de 22 % à 21 %, tandis que la part des achats de gaz algérien a bondi de 52 % à 56 %. Autrement dit, plus de la moitié du gaz consommé en Tunisie provient désormais directement de l’Algérie.
Cette dépendance croissante s’explique à la fois par la stagnation de la production locale et par la hausse des besoins énergétiques, notamment pour la production d’électricité. En effet, la STEG, principal consommateur de gaz naturel dans le pays, utilise ce combustible pour plus de 95 % de sa production électrique. La moindre baisse de production nationale se traduit donc automatiquement par un recours accru à l’importation.
Une redevance en baisse et des régularisations en cours
Le bulletin d’août 2025 révèle également que la redevance sur le passage du gaz algérien a enregistré une baisse de 11 % par rapport à fin août 2024, pour se situer à 587 ktep-pci. Le forfait fiscal sur ce transit a, lui aussi, reculé dans la même proportion. La répartition de la redevance totale montre que la totalité de cette redevance a été cédée à la STEG au mois d’août, soit 100 %.
Le ministère signale par ailleurs qu’un dépassement des prélèvements effectués par la STEG sur la redevance revenant à l’État tunisien a été enregistré en juillet 2025, à hauteur de 257 millions de m³. Cette situation est actuellement en cours de régularisation, traduisant une tension persistante entre les impératifs d’approvisionnement électrique et les équilibres financiers de l’État.
Un défi stratégique pour la souveraineté énergétique
La hausse des achats de gaz algérien illustre à la fois la solidité du partenariat énergétique tuniso-algérien et la fragilité du modèle énergétique tunisien. À court terme, cette dépendance est nécessaire pour garantir la continuité de la production électrique et éviter les coupures. Mais à moyen et long terme, elle pose la question de la souveraineté énergétique du pays.
La baisse constante de la production nationale, conjuguée à la diminution du forfait fiscal, limite la capacité de la Tunisie à assurer une part significative de sa propre demande. Les investissements dans la prospection gazière restent modestes, tandis que les projets de diversification énergétique – notamment dans le solaire et l’éolien – progressent encore lentement.
Vers une nécessaire réorientation de la politique énergétique
Face à ces constats, plusieurs experts appellent à une révision en profondeur de la stratégie énergétique nationale. Il s’agirait de renforcer les incitations à l’exploration, d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables et de rationaliser la consommation, notamment dans le secteur public et industriel. Sans une relance rapide de la production locale ou une substitution partielle par des énergies propres, la dépendance au gaz importé risque de peser lourdement sur la balance énergétique et sur les finances publiques. La hausse des achats de gaz algérien, bien qu’elle assure aujourd’hui la stabilité de l’approvisionnement, souligne surtout l’urgence d’un rééquilibrage durable de la politique énergétique tunisienne.
Leila SELMI
