Face à une déconnexion de plus en plus forte entre les prix de l’immobilier et le pouvoir d’achat des ménages, qui rend l’accès à la propriété un rêve inaccessible pour la majeure partie des Tunisiens, l’Etat a choisi de subventionner le programme de location-vente qui devrait être réactivé en 2026. C’est ce qu’a annoncé, hier, la ministre des Finances, Michket Slama Khaldi, devant les députés.
«L’Etat va subventionner le mécanisme de location-vente, qui vise à faciliter l’acquisition des logements sociaux à travers une dotation budgétaire de 25 millions de dinars», a-t-elle annoncé lors d’une allocution prononcée lors d’une réunion des commissions des finances à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et au Conseil national des régions et des districts (CNRD).
La ministre a également révélé qu’une dotation budgétaire de 63 millions de dinars sera allouée au Fonds de promotion des logements sociaux (FOPROLOS), alors qu’une enveloppe de 49 millions de dinars sera mobilisée en faveur du programme spécifique de logement dédié aux catégories socioprofessionnelles à revenus limités.
L’allocation de ces fonds intervient suite à la décision du gouvernement de relancer le mécanisme de location-vente, qui avait été suspendu en 2016, pour faciliter l’accès à la propriété immobilière pour les couches sociales les plus vulnérables.
En février 2025, le président de la République avait plaidé pour la réactivation du mécanisme de location avec option d’achat, un système qui permettrait aux familles à faibles revenus d’acquérir des logements à des prix abordables. Il a également appelé, à cette occasion, les organismes publics spécialisés dans l’immobilier, en l’occurrence la Société nationale immobilière de Tunisie (SNIT) et l’Agence foncière d’habitation (AFH), à reprendre activement leur rôle dans l’offre de logements accessibles sur un marché dominé par les promoteurs privés.
«La politique du logement doit s’inscrire dans une vision sociale globale, où l’État assume pleinement son rôle de garant de l’équité et du bien-être collectif», avait alors déclaré le locataire de Carthage.
Le mécanisme location-vente consiste à permettre à un locataire de devenir propriétaire à l’issue d’une période de location durant laquelle il verse un loyer mensuel, sans apport conséquent ni recours au crédit bancaire.
Pour mettre en œuvre ce programme, deux projets devraient être soumis prochainement à l’ARP. Le premier projet de loi amendera la loi n°53 de 1977 régissant la Société de promotion des logements sociaux (SPROLS), pour y introduire le système de paiement échelonné ou de location-vente pour les logements financés par le FOPROLOS.
Des réserves foncières sont déjà disponibles
Le deuxième projet devrait conférer à la Société nationale immobilière de Tunisie des missions équivalentes dans le segment des logements sociaux.
Dans ce même cadre, le ministère de l’Équipement a annoncé récemment que les réserves foncières destinées à la construction des logements sociaux sont déjà disponibles.
La réactivation du mécanisme de location-vente, qui avait permis la vente de quelque 9000 logements sociaux jusqu’en 2016, intervient dans un contexte marqué par une forte flambée des prix des logements construits par les promoteurs immobiliers privés. Ces derniers préfèrent investir dans le segment du haut standing, dans lequel la marge bénéficiaire est beaucoup plus intéressante que celle des segments du logement économique et social. Cette marge peut atteindre 40% du prix de vente du logement, d’après certains professionnels du secteur. En conséquence, le taux moyen des logements de haut standing représente 65% du total des logements construits chaque année par les acteurs privés du secteur de la promotion immobilière, contre 33% pour les logements économiques et 2% pour les logements sociaux (2%).
Le ratio global prix du logement/revenu annuel moyen du ménage est estimé à plus de 17 à l’échelle nationale. En d’autres termes, chaque ménage doit dépenser en moyenne plus de 17 fois l’équivalent de son revenu annuel total (avant toutes les dépenses) pour pouvoir acquérir un logement. Ce ratio varie selon les régions. Dans la région du Grand Tunis, le ratio prix du logement/revenu annuel s’élève à 22. Il n’est cependant que de 12% dans le Nord-est et de 9 % dans le Sud-ouest.
Selon les experts, le ratio moyen du prix du logement par rapport au revenu du ménage pour lequel l’accessibilité au logement est jugée bonne doit se situer dans une fourchette de 1 à 5, c’est-à-dire que le ménage investit en moyenne dans l’acquisition de son logement l’équivalent de 1 à 5 fois l’équivalent de son revenu annuel, comme c’est le cas dans la plupart des pays développés.
Walid KHEFIFI
