Dans la région de Nabeul, l’atmosphère est lourde d’inquiétude. Ce secteur emblématique, symbole de la richesse agricole du Cap Bon et moteur d’une grande partie de la production nationale, traverse une phase critique. Les producteurs, déjà fragilisés par les aléas économiques et climatiques, alertent sur une situation qui pourrait compromettre toute la récolte de l’année.
Les responsables agricoles locaux tirent la sonnette d’alarme. Ils soulignent que sans un soutien immédiat de l’État, la filière risque de connaître une saison catastrophique. Les autorités régionales et les ministères concernés — notamment ceux de l’Agriculture et du Commerce — sont appelés à agir sans délai pour sauver une production qui dépasse chaque année plusieurs centaines de milliers de tonnes et fait vivre des milliers de familles dans la région.
Le problème ne réside pas seulement dans les champs, mais aussi sur les routes et dans les circuits de commercialisation. Les agriculteurs font face à un blocage grandissant dans la vente et le transport de leurs récoltes. Les procédures administratives, devenues plus strictes cette année, rendent particulièrement difficile la circulation des cargaisons d’oranges et de mandarines vers d’autres régions du pays. Cette rigidité, censée mieux encadrer le marché, produit paradoxalement l’effet inverse : la lenteur et la complexité des démarches freinent la vente des fruits, laissant de grandes quantités d’agrumes invendues sur pied. Faute de débouchés suffisants, plusieurs exploitants craignent de voir leurs récoltes pourrir dans les vergers avant même d’avoir atteint les étals.
Les producteurs réclament la reconduction des mesures d’urgence
Face à cette impasse, les représentants de l’Union régionale de l’agriculture et de la pêche demandent aux autorités de rétablir les mesures exceptionnelles qui avaient été adoptées l’année précédente. Ces dispositions, prises dans un contexte similaire, avaient assoupli le transport et la vente des agrumes, permettant d’écouler la production et de stabiliser les prix sur le marché. Les agriculteurs insistent sur le fait que ces mécanismes temporaires avaient prouvé leur efficacité, contribuant à éviter une crise majeure. Leur suppression, cette année, a eu un impact direct sur la fluidité du commerce agricole, aggravant le déséquilibre entre l’offre et la demande.
Une filière désorganisée en attente de marchés adaptés
La filière agrumicole de Nabeul souffre également d’un manque de structures modernes capables de canaliser et réguler les flux de marchandises. Deux projets sont particulièrement attendus : le marché de gros de Beni Khalled et le marché de production de Menzel Bouzelfa. Ces infrastructures, encore en phase de préparation, devraient à terme offrir un cadre organisé et légal à la commercialisation des produits. En attendant leur ouverture, les acteurs du secteur plaident pour davantage de souplesse. Selon eux, il est illogique de maintenir des contraintes sévères alors que les alternatives logistiques et commerciales promises ne sont pas encore opérationnelles. Le report des restrictions serait, à leurs yeux, la seule solution réaliste pour éviter une hémorragie économique et préserver la réputation de la région comme principale zone agrumicole du pays.
Une surproduction sans débouchés suffisants
Le cœur du problème est également quantitatif. Chaque jour, entre 1 200 et 2 000 tonnes d’agrumes sont récoltées dans les différentes délégations du gouvernorat. Les marchés de gros existants, saturés ou mal connectés, ne parviennent plus à absorber un tel volume. Les petits commerçants et transporteurs, notamment ceux qui travaillent avec des camions légers, communément appelés Douarjiya, jouent un rôle crucial dans l’écoulement de ces quantités.
Cependant, les restrictions actuelles limitent leur mobilité et les empêchent d’atteindre d’autres marchés régionaux. Résultat : les vergers débordent, les prix chutent et les producteurs se retrouvent avec des charges qu’ils ne peuvent plus supporter.
Une filière menacée dans son équilibre
Derrière cette crise se profilent des enjeux plus profonds : la durabilité d’un modèle agricole basé sur l’exportation et la dépendance à un cadre administratif souvent rigide. La saison des agrumes, qui devait marquer un moment fort de l’économie locale, se transforme cette année en épreuve pour l’ensemble de la chaîne, des cueilleurs jusqu’aux transporteurs. Les agriculteurs de Nabeul ne réclament pas de privilèges, mais des conditions de travail adaptées à la réalité du terrain. Ils rappellent que le secteur des agrumes constitue une richesse nationale, contribuant non seulement à l’économie tunisienne mais aussi à l’image du pays à l’étranger.
Sans une réponse rapide, les pertes pourraient être considérables : des tonnes de fruits gâchées, des revenus agricoles en chute libre et, à terme, une démotivation générale des producteurs. Dans une conjoncture économique déjà difficile, une telle issue serait désastreuse. La région du Cap Bon, longtemps synonyme de vergers florissants et d’oranges exportées aux quatre coins du monde, risque aujourd’hui de voir cette image ternie. Les producteurs n’attendent qu’un signal clair des autorités pour redonner à la filière la dynamique qu’elle mérite. Plus qu’un simple appel à l’aide, leur cri est un avertissement : sans mesures urgentes, c’est tout un pan du patrimoine agricole tunisien qui pourrait vaciller.
Leila SELMI
