Le monde médical est en pleine mutation. Au cœur de cette transformation, l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un levier stratégique pour repenser les systèmes de soins, renforcer la prévention et améliorer la qualité des prestations. C’est dans ce contexte que la Tunisie, par la voix de son ministre de la Santé, Mustapha Ferjani, a réaffirmé à Marseille sa volonté d’inscrire la santé publique dans une ère d’innovation numérique maîtrisée, fondée sur la souveraineté technologique et l’équité d’accès aux soins.
Intervenant au Forum de Marseille sur l’intelligence artificielle, qui réunit chaque année des chercheurs, dirigeants et décideurs internationaux, Mustapha Ferjani a présenté la stratégie tunisienne de modernisation du système de santé. Celle-ci repose sur deux principes essentiels : la justice sociale et la proximité du service au citoyen.Le ministre a rappelé que l’objectif n’est pas seulement d’introduire des outils technologiques dans les hôpitaux, mais de créer un modèle de santé intelligent, capable de réduire les inégalités territoriales et de renforcer la prévention. Dans un pays où de nombreuses régions rurales souffrent encore d’un accès limité aux soins spécialisés, le numérique apparaît comme un moyen de rapprocher la médecine du citoyen.
La santé numérique, une révolution déjà en marche
Plusieurs chantiers structurants sont actuellement en cours en Tunisie. Le projet de l’hôpital numérique, par exemple, symbolise cette volonté d’intégrer l’innovation dans la pratique médicale quotidienne. L’objectif est de relier les services hospitaliers à travers une plateforme numérique centralisée, facilitant le partage des données médicales, la coordination entre établissements et la continuité des soins pour le patient. La téléradiologie, quant à elle, permet déjà à certains établissements régionaux de bénéficier à distance de l’expertise de grands centres médicaux, réduisant les délais de diagnostic et optimisant les ressources humaines. Cette approche collaborative pourrait s’étendre à d’autres spécialités comme la téléconsultation ou la télésurveillance des malades chroniques.
L’un des points saillants du discours du ministre réside dans la promotion d’une utilisation raisonnée et souveraine de l’IA. Mustapha Ferjani a insisté sur la nécessité de développer des solutions adaptées aux besoins et réalités de chaque pays. L’intelligence artificielle peut certes révolutionner la détection précoce des maladies, la gestion hospitalière et la personnalisation des traitements, mais son intégration doit se faire avec prudence et encadrement éthique.
En Tunisie, des projets pilotes visent déjà à exploiter les algorithmes d’IA pour améliorer l’analyse d’imagerie médicale, prédire les épidémies saisonnières et renforcer la veille sanitaire. Ces outils, combinés à une base de données médicale bien structurée, permettraient d’anticiper les crises, d’optimiser la distribution des médicaments et d’améliorer la planification des soins.
La souveraineté numérique, un enjeu stratégique
Pour le ministre, la santé de demain ne peut pas dépendre entièrement de technologies importées ou de systèmes hébergés à l’étranger. D’où l’appel à une souveraineté numérique forte, capable d’assurer la sécurité des données médicales et l’autonomie technologique du pays. La création de plateformes nationales sécurisées, le développement d’applications locales et la formation des ingénieurs et médecins à la manipulation de l’IA sont au cœur de cette ambition. Ferjani a d’ailleurs évoqué à Marseille la possibilité pour la Tunisie de devenir un pôle régional de développement de solutions intelligentes destinées à l’Afrique, combinant savoir-faire médical et innovation numérique.
En marge du forum, le ministre a rencontré plusieurs responsables et experts étrangers afin de poser les bases d’une coopération renforcée dans le domaine de la santé numérique. L’échange d’expériences, la formation conjointe et la création de programmes de recherche appliquée figurent parmi les pistes évoquées. Cette ouverture internationale vise à positionner la Tunisie comme un acteur crédible dans le développement de solutions de santé innovantes à l’échelle du continent africain. Le pays dispose déjà d’atouts considérables : une population de jeunes ingénieurs qualifiés, une tradition médicale solide et une volonté politique de transformation digitale.
Former les ressources humaines à l’ère numérique
L’innovation technologique ne saurait aboutir sans un système de formation adapté. Mustapha Ferjani a insisté sur la nécessité de réformer les cursus universitaires en santé pour y intégrer la dimension numérique et l’usage de l’intelligence artificielle. Les futurs médecins, pharmaciens et techniciens doivent être préparés à manipuler des outils d’analyse de données, des logiciels d’aide au diagnostic et des dispositifs de surveillance connectés.
Cette modernisation de la formation est essentielle pour éviter que la technologie ne crée une fracture entre praticiens et machines, mais devienne au contraire un prolongement naturel du savoir médical.
L’intervention du ministre à Marseille marque un tournant stratégique pour la Tunisie. L’intelligence artificielle, loin d’être une simple innovation technique, devient un pilier de la politique sanitaire nationale. En plaçant la souveraineté numérique, la formation et l’équité au centre de sa démarche, le pays affiche une ambition claire : faire de la santé intelligente un moteur de développement humain et social. Dans un monde où la médecine se réinvente à la vitesse des algorithmes, la Tunisie entend tracer sa propre voie, en conjuguant innovation, éthique et solidarité.
Leila SELMI
