La pêche est l’une des activités socio-économiques les plus importantes en Méditerranée et particulièrement au Maghreb. A Kerkennah, elle est devenue, ces dernières décennies, un secteur d’emploi de premier plan pour une large frange de la population côtière. L’exploitation de la mer représente également l’une des principales ressources en protéine animale pour la majorité des habitants du littoral. Mais les 250 pêcheurs de cet archipel tentent tant bien que mal de conserver leur environnement menacé par la pêche au chalut.
En effet l’île de Kerkennah voit ses stocks de poissons s’effondrer et se vider à la vitesse grand V et ce qui reste de ses stocks de poissons est, aujourd’hui, en grand danger à cause du braconnage en mer. La dégradation du milieu marin combinée à la question du réchauffement climatique a donc un impact sur les écosystèmes aquatiques et par conséquent sur le volume des stocks disponibles
Le chalutage de fond (le kiss) qui consiste à racler les fonds marins avec des grands filets constitue l’une des formes de pêche les plus destructrices. Cette pratique engendre des dommages durables et potentiellement irréversibles sur les habitats marins et menace les populations d’espèces sensibles telles que les poulpes, les éponges et les tortues. Elle laisse dans son sillage des déserts dépourvus de vie et entraîne la libération dans l’eau de quantités considérables de carbone provenant des fonds marins, ce qui est susceptible d’accroître l’acidification de l’île et d’aggraver le dérèglement climatique. Cette pratique n’est pas seulement destructrice pour la nature, elle l’est aussi pour les communautés côtières de l’Île. En favorisant l’érosion côtière, en diminuant la qualité de l’eau et en privant les pêcheurs de moyens de subsistance irremplaçables, elle compromet la capacité de communautés qui sont déjà très vulnérables à s’adapter au changement climatique.
Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a réalisé une enquête auprès des petits pêcheurs de Teboulba (Monastir), Kerkennah (Sfax) et Zarzis (Médenine). D’après le FTDES, la communauté des pêcheurs artisans en Tunisie s’enfonce de plus en plus dans la précarité malgré l’importance de la filière de la pêche côtière qui contribue fortement à la production maritime nationale (36% en 2019). L’enquête, réalisée par la chercheuse Emna Ben Kahla auprès de 450 petits pêcheurs (250 à kerkennah, 150 à Zarzis et 50 à Teboulba), a permis de mettre l’accent sur les difficultés qui hantent ce sous-secteur. Il s’agit essentiellement, de la diminution progressive des ressources halieutiques, du faible rendement des pêcheurs, la défaillance de l’infrastructure de base, l’absence de sécurité en mer, les conflits avec les autres activités, notamment la pêche au chalut, l’incursion illégale de certaines unités de la pêche hauturière dans des zones de faibles profondeurs et le non-respect du calendrier.
Quand le « kiss » racle les sols marins et capture le maximum de poissons !
Ahmed Senoussi, Président de l’Association Kraten du développement durable, de la culture et du Loisir a souligné que « la pêche au chalut est une activité interdite par la loi mais qui est, malheureusement, exercée au vu et au su de tout le monde, dans l’impunité totale. La situation environnementale est déjà fragilisée et continue à se détériorer. Au cours de ces dernières années, les pêcheurs ont vu leurs outils de pêche traditionnelle concurrencés par le chalutage. Une méthode qui décime les réserves de poissons et arrache les plantes du fond marin. Conséquence : les revenus des pêcheurs de Kerkennah ont baissé de 80% au cours des dernières années.
C’est une technique de pêche qui consiste à racler les sols marins pour capturer le maximum de poissons, mais détruit au passage toute la flore dont la posidonie qui joue un rôle central contre l’érosion des côtes . Si le kiss a été officiellement interdit en 1942, le nombre de chalutiers ne cesse d’augmenter. « La pêche illégale, dit-il, est devenue un fléau d’octobre à avril . Ces grands pécheurs délaissent les ports de Zarzis, Mahdia et Sfax où la pêche du chalut est interdite, pour s’installer à Kerkennah. Ces barques sans immatriculation rasent les fonds marins. Ce mode de pêche utilise des filets profonds qui ciblent les poissons benthiques et semi-benthiques à grande valeur économique (crevette, raie, etc.). Les embarcations utilisées, connues sous le nom de chalutier, mesurent une longueur de 16 à 25 mètres. Cette technique est pratiquée ouvertement, bien qu’elle soit interdite par la législation tunisienne. L’herbe marine qui se trouve au fond de la mer est chalutée par le Kiss. Cette prairie sert d’abri aux calmars qui y pondent leurs œufs et s’y reproduisent. C’est la même chose pour les poissons et les pieuvres. L’herbier est l’endroit où les espèces se nourrissent et se reproduisent, mais lorsqu’il est chaluté, il est transformé en véritable désert…Le Kiss emporte tout. Ce qui a entraîné la mort de nombreux poissons, la raréfaction de certaines espèces. Ces chalutiers pratiquant la pêche au Kiss opèrent dans des eaux peu profondes proches des côtes, en contravention manifeste avec les mesures de conservation et de gestion adoptées par la Commission générale des pêches pour la Méditerranée (CGPM).
Cette pratique menace les moyens de subsistance des populations locales qui ne peuvent pas rivaliser avec la pratique plus lucrative du Kiss, qui endommagent également leurs engins de pêche. « Nous avions l’habitude de relâcher les petits poissons pour qu’ils grandissent, mais maintenant nous les prenons pour les vendre à bas prix afin de pouvoir survivre. À cause du changement climatique, de la pollution et de la pêche illégale, les petits pêcheurs ne sont plus en mesure de gagner leur vie sur l’île » précise Hamza, un pêcheur de l’île. Plusieurs comptent même à délaisser cette activité :« Quand je pêche avec des filets, je vais chercher des travailleurs pour pêcher avec moi, mais je n’en trouve pas. Beaucoup de jeunes ont quitté le pays. Ils ont émigré » explique Mohamed
Une action urgente est nécessaire en vue de mettre fin à la pêche au Kiss, protéger les habitats côtiers d’importance biologique et économique du golfe de Gabès, et préserver les moyens de subsistance et la viabilité des communautés de pêcheurs artisanaux.
Selon le Président de l’Association Kraten du développement durable, de la culture et du Loisir, « L’Etat doit améliorer les conditions de vie sur l’archipel, d’autant plus que la situation économique et environnementale dans ces lieux déjà fragilisés continuent à se détériorer. Notre but est d’inciter chacun à faire un effort dans le but de protéger notre environnement et de mettre fin à cette pêche illégale. L’Ile de Kerkennah, déjà fortement impactée par la surpêche, la dégradation des habitats, la pollution, les espèces exotiques envahissantes et le changement climatique, n’est pas à l’abri des répercussions de la pêche au chalut.
Partenariat Tunisie-MedFund pour la préservation de l’aire marine protégée de Kerkennah
La partie nord des îles Kerkennah figure parmi les sites potentiels en Tunisie du Programme de Développement d’aires marines et côtières protégées AMP mené par l’APAL dans le cadre de la politique nationale sur la biodiversité visant l’établissement d’un réseau d’AMP tout le long des côtes tunisiennes. L’objectif de la création d’une AMCP au niveau de cette région de l’archipel Kerkennien, vise la réconciliation entre les besoins socio-économiques et préservation des ressources du milieu et la pérennité de sa productivité, autour des concepts de développement et de gestion durable de la futur AMCP des îlots nord-est.
Le défi est de taille, vu le contexte de fortes tensions socio-économiques atteintes impactant fortement la biodiversité, les habitats, l’écosystème marin et côtier de l’archipel Kerkennah et une situation explosive de l’exploitation des ressources halieutiques.Située au large des côtes tunisiennes, l’AMP de Kerkennah, d’une superficie de 1091,5 Km2, abrite une biodiversité marine unique, comprenant des herbiers marins, des habitats côtiers et des zones de reproduction cruciales pour de nombreuses espèces marines.Une convention de partenariat a été signée, entre l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL) et l’ONG » Kraten » d’une part et le Fonds environnemental « The MedFund » d’autre part, dans l’objectif d’améliorer la préservation de l’aire marine protégée (AMP) des îlots nord de Kerkennah en Tunisie. En vertu de cette convention, le MedFund allouera un financement de 286 mille dollars à l’APAL et à l’ONG Kraten, sur une période de 5 ans . Il s’agit de la cinquième aire marine protégée soutenue par le MedFund en Tunisie depuis 2020, après celles des îles de Kuriat, de l’archipel de La Galite, de Kneiss et de Zembra .Le financement qui sera versé en tranches sur 5 ans, va contribuer à protéger et à restaurer les ressources marines des villages côtiers, à promouvoir une pêche durable et à garantir des revenus stables aux pêcheurs à Kerkennah, où la pêche constitue l’activité économique la plus répandue
Kamel BOUAOUINA