L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a adopté, mercredi, le projet de loi relatif à la révision du décret-loi- n° 13-2022 du 20 mars 2022, portant sur la réconciliation pénale et l’affectation de ses recettes avec 126 voix, trois abstentions et zéro abstention. Le texte corrige plusieurs lacunes figurant dans le décret promulgué en mars 2022. Il laisse en effet la durée de travaux de la Commission nationale de réconciliation pénale (CNRP), créée auprès de la Présidence de la République, ouverte en précisant que « le mandat de cette commission est fixé par décret ».
La commission est dotée de deux vice-présidents. Le premier vice-président est un magistrat administratif ayant une ancienneté minimale de 15 ans, alors que le deuxième est un magistrat financier ayant la même ancienneté. Elle est désormais chargée de vérifier l’accomplissement des conditions de forme de la demande de réconciliation pénale et à estimer la valeur des montants à payer dans le cadre de la réconciliation pénale, sur la base de la valeur des avoirs détournés, de l’avantage obtenu ou du dommage occasionné aux organismes publics, majorée de 10% pour chaque année suivant celle durant laquelle le détournement a eu lieu. Elle procède aux investigations nécessaires et se fait produire les documents et données auprès des services administratifs, des institutions financières ou de n’importe quelle autre partie à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Le nouveau texte fixe également le délai maximal d’examen des demandes de réconciliation à quatre mois et mène des négociations avec le demandeur avec le demandeur sur les montants dus suivant plusieurs formules, dont un projet de réconciliation finale après le paiement l’intégralité des sommes dues ou un projet de réconciliation provisoire basé sur le versement de 50% de la valeur des montants ayant fait l’objet d’un accord, avec un engagement de décaisser le montant restant dans un délai de six mois ou de l’utiliser pour financer un ou plusieurs projets.
Les divers projets de réconciliation pénale sont ensuite transmis au président de la République, qui les soumet au conseil de la sécurité nationale. Ce dernier peut les accepter, les rejeter ou demander une révision à la hausse des montants y figurant dans un délai de trois jours.
Financer des projets de développement
Par ailleurs, l’article 35 nouvelle stipule que la conclusion de la conciliation pénale définitive entraîne l’extinction de l’action publique et l’arrêt des poursuites ou du procès ou l’extinction de la peine si le demandeur de la réconciliation remplit toutes les conditions énumérées dans la loi. Mais si le demandeur de la réconciliation ne respecte pas ses engagements dans le délai imparti, la poursuite pénale, le procès ou l’exécution de la peine reprendront.
Le processus de la réconciliation pénale a été lancé en mars 2022 avec la publication d’un décret-loi présidentiel proposant la suspension des poursuites judiciaires contre les hommes d’affaires impliqués dans des affaires de corruption financière en contrepartie de leur engagement à lancer des projets de développement dans les régions.
Ce processus est censé éviter l’incarcération aux auteurs de délits économiques et financiers, en échange du versement de montants destinés à compenser les sommes détournées des finances publiques, avec en sus 10% d’intérêt par année, à compter de la date du délit.
Les sommes qui seraient ainsi être récoltées devraient être affectées au financement de projets de développement dans les régions les plus déshéritées. Les revenus de ces projets devraient être versés à hauteur de 80% aux délégations. Les 20% restants sont destinés aux collectivités locales, en tant que contributions au capital de sociétés communautaires.
Force est cependant de constater que le bilan du processus de réconciliation est loin d’être satisfaisant. La CNRP n’a pu jusqu’ici mobiliser que 35 millions de dinars, selon Walid Arfaoui, le président de l’Association tunisienne pour la défense du procès équitable (ATDPE) et avocat chargé du dossier de la réconciliation pénale.
D’après lui, la commission a reçu jusqu’à présent 250 demandes de réconciliation, et est parvenue à ce titre à parachever les démarches et procédures de réconciliation de 40% d’entre eux.
Bien que le montrant collecté représente « un indicateur positif », notamment si on le compare aux montants collectés par l’Instance Vérité et Dignité, en l’occurrence 9 millions de dinars, il demeure très en deçà du montant annoncé par le président de la république, Kaïs Saied, en novembre 2022.
Une liste de 460 hommes d’affaires
En présentant le décret-loi n° 13-2022, le locataire de Carthage avait évoqué une liste de 460 hommes d’affaires qui auraient « pillé » entre 10 et 13,5 milliards de dinars en détournant des fonds ou en commettant divers délits économiques et fiscaux comme le blanchiment d’argent, le détournement de fonds publics, l’abus de biens sociaux et les fraudes fiscales.
Selon plusieurs sources, le locataire de Carthage faisait référence à un rapport élaboré en 2011 par l’ancienne commission d’investigation sur les faits de corruption et de malversation, qui était présidée par le juriste défunt Abdelfattah Amor. Et c’est là que le bât blesse. Au moment même de sa publication, ce rapport avait été déjà qualifié de « tissu de mensonges » par plusieurs analystes. Des hommes d’affaires cités dans le rapport avaient alors affirmé avoir livré à la commission des documents prouvant l’origine légale de leur fortune.
De plus, plusieurs personnes visées ont été traduites ont justice sur la base des faits cités dans le rapport. A quelques rares exceptions, l’ensemble de ces hommes d’affaires ont été blanchis par les tribunaux après avoir réussi à prouver que leurs biens n’étaient pas mal acquis.
Le montant total de l’argent « pillé » englobe par ailleurs des participations dans plusieurs entreprises qui ont été déjà confisquées par l’Etat aux membres du clan Ben Ali-Trabelsi. Certaines de ces entreprises ont été déjà cédées par Al-Karama Holding, la société chargée de gérer les biens confisqués, dont Ennakl, Alpha Ford et City Cars.
Mais d’autres hommes d’affaires véreux cités dans le rapport de la commission d’investigation sur les faits de corruption et de malversation ont d’autre part réussi à passer entre les mailles des filets et à placer leurs fortunes dans des paradis fiscaux à l’étranger.
Compte tenu de ces nombreux facteurs, les sommes colossales espérées dans le cadre de la réconciliation pénale ne peuvent en aucun cas être prises pour de l’argent comptant, selon plusieurs experts.
Walid KHEFIFI