Il ne s’agit pas d’une nouveauté car les Chinois se trouvent en Tunisie, dans le cadre de la coopération technique depuis un bon bout de temps, mais, aujourd’hui, le volet coopération s’est visiblement élargi pour toucher à des projets grandioses entrepris en Tunisie et livrés à des entreprises chinoises pour l’exécution. S’agit-il d’échanges ordinaires ou d’une nouvelle option orientée vers une plus large coopération ?
Bien que la Tunisie a été le dernier Etat maghrébin à reconnaître la République Populaire de Chine, et ce en 1964, les années suivantes ont vu les relations entre les deux pays prendre progressivement de l’ampleur, à l’instar de ce qui se passait au Maroc et surtout en Algérie. Toutefois, les importations des produits chinois ne représentent que 6.6% du total des importations de la Tunisie, et les exportations des produits tunisiens ne représentent que 1.4% du total des exportations de la Chine, bien que les relations commerciales se soient bien développées.
En aspirant à développer une coopération plus fructueuse, la Tunisie a dévoilé son intention d’intégrer le projet BRI dès 2017 lors d’une visite officielle du ministre tunisien des affaires étrangères à Pékin. Divers accords ont été alors signés et sont en cours de réalisation, notamment dans le secteur du tourisme et des infrastructures.
Le tourisme, qui constitue un des piliers de l’économie tunisienne, est également de la fête. En effet, environ 180 millions de chinois voyagent actuellement à travers le monde et ils seront plus de 280 millions en 2030, ce qui motive davantage le développement de la destination Tunisie.
Les grands chantiers au rendez-vous
Dans le secteur des infrastructures, il convient de citer à titre non exhaustif : l’hôpital universitaire à Sfax inauguré en 2020, le doublement du canal Medjerda-Cap Bon déjà construit par la Chine, le bâtiment de l’archive nationale, la rénovation de la maison des jeunes d’El Menzah achevée en 2017, la construction d’un centre culturel à Ben Arous, de cinq hôpitaux au Nord-Ouest du pays et de l’Académie Diplomatique récemment inaugurée.
Il faut aussi mentionner le projet de transformation du port de Zarzis en un centre économique et commercial s’étalant sur 1000 hectares regroupant un pont de Boughrara à l’île de Djerba, un pôle technologique, un projet d’une ligne ferroviaire Medenine-Zarzis, une zone logistique Ben Guerdane et un parc d’activités économiques à Zarzis. Ce port revêt une importance stratégique ; il est à 70 km de la Lybie, à 200 km de l’Algérie et à 2 heures de l’Europe depuis l’aéroport Djerba-Zarzis. Dès l’achèvement prévu en 2022 du segment routier entre Gabès-Mednine, la zone sera aussi reliée à l’autoroute transmagrébine. Le projet permettra alors un développement économique très important pour la région Sud de la Tunisie, pauvre en investissements étrangers.
Cependant, le développement du port de Bizerte pourrait constituer un avantage pour l’insertion de la Tunisie au sein du projet des nouvelles routes de la soie maritime. Si le port de Tanger contrôle le détroit de Gibraltar, le port de Bizerte contrôle le détroit de Sicile reliant la Méditerranée orientale à la Méditerranée occidentale. Parfaitement au cœur de la Méditerranée contrôlant les voies menant au Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie, Bizerte pourrait devenir un hub commercial à mi-chemin du canal de Suez, de la mer Noire et de l’Atlantique. Des compagnies chinoises ont dévoilé leur intention de développer un port en eaux profondes de troisième génération à Bizerte depuis 2018. Toutefois, la Chine qui doit compter avec la concurrence des Etats-Unis et de la France.
En ce qui concerne les projets structurants, la firme chinoise Sichuan Road & Bridge (Group) a remporté, le 3 janvier 2024, le marché du pont de Bizerte en soumettant l’offre le moins disant, soit 610 MDT. Ce projet est financé par la BEI (123 M€) et la BAD (122 M€). Ce pont a une dimension sociale en ce sens où il va désenclaver la ville de Bizerte, améliorer la mobilité des Bizertins et mettre fin aux tracasseries et désagréments quotidiens subis par les habitants de Bizerte à cause des multiples pannes du pont mobile qui date des années 80.
Le deuxième projet structurant n’est autre que l’inauguration, le 15 janvier 2024, à l’occasion de la visite du ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, en Tunisie de l’Académie diplomatique internationale. Il convient de relever que ce projet est unique en son genre et une première au monde jamais réalisée dans l’histoire de la Chine.
Place aux projets de proximité
En matière de projets de proximité, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a adopté, le 26 décembre 2023, un accord en vertu duquel la chine enverra 4 équipes médicales en Tunisie composées de 38 personnes dont notamment des enseignants et des médecins dans différentes spécialités. Les équipes médicales seront réparties entre les hôpitaux de Jendouba (11) Sidi Bouzid (12), Gafsa (7) et le centre spécialisé en acupuncture à l’hôpital Mongi Slim de la Marsa (8). La partie chinoise fournira des médicaments et des outils d’acupuncture sous forme de dons et bénéficiera de l’exonération des droits de douane et des taxes fiscales par la Tunisie.
Toujours au plan médical, le 20 janvier 2024, un protocole relatif au lancement de l’étude de faisabilité du projet de création, à Gabès, d’un centre d’oncologie (traitement des maladies cancéreuses). Ce centre, qui sera financé par la Chine, est fort attendu par les communautés locales qui ont été exposées, des décennies durant, aux maladies cancéreuses en raison de la pollution générée par les industries chimiques.
Plus encore, le retard enregistré dans les travaux de reconstitution du stade d’El Menzah a poussé l’Etat à livrer le chantier à une entreprise chinoise. L’idée a de quoi séduire en attendant une confirmation.
Ces derniers temps, on a beaucoup parlé de la probable adhésion de la Tunisie au BRICS, mais ce qui est certain, c’est que la page chinoise est bel et bien ouverte depuis quelques mois et on s’attend à beaucoup plus de volume dans les échanges entre les deux pays et une plus grande intégration des entreprises chinoises dans l’exécution des futurs grands projets et chantiers en Tunisie.
Kamel ZAIEM