Bien souvent, le terme santé mentale est utilisé à tort et à travers, c’est pourquoi, il est important de bien comprendre ce qu’il désigne et ne désigne pas. On désigne par santé mentale, l’état global de bien-être psychologique et émotionnel d’une personne. Cela englobe la manière dont nous pensons, ressentons et agissons dans notre vie quotidienne. Une bonne santé mentale implique la capacité de faire face aux défis et aux stress de la vie, de maintenir des relations positives, de prendre des décisions éclairées et de jouir d’un sentiment de bien-être général. Décryptage avec Pr. Riadh Bouzid, psychiatre.
Le Temps.news : Qu’est-ce que la santé mentale ?
Pr. Riadh Bouzid : La Santé mentale est un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté. La santé mentale c’est ce qui fait que vous vous sentez bien, et c’est la bonne santé mentale, ou mal et malheureux, et c’est pourquoi je dirais ‘’la mauvaise santé mentale’’. Là, il faut faire une distinction importante : la santé mentale ce n’est pas la psychiatrie. Il est vrai que la psychiatrie, les psychiatres et les psychologues apportent grandement à la santé mentale. Mais la psychiatrie ne représente que le sommet de la pyramide. Dans cette pyramide, la santé mentale c’est d’abord la promotion de la bonne santé et du bien-être. Ensuite c’est la prévention des troubles mentaux et des souffrances psychologiques. A la fin, et c’est là qu’intervient la psychiatrie, c’est le traitement des troubles mentaux avérés. La psychiatrie est une spécialité médicale qui traite les personnes souffrant de troubles mentaux.
Quels sont les facteurs qui interviennent dans la santé mentale ?
Il y a certainement des facteurs biologiques et génétiques dans la détermination de notre état de bien-être. A la naissance, l’être humain n’est pas une page blanche ; il est héritier d’un tempérament déjà façonné par le milieu environnant dès, et même avant, qu’il est dans le ventre de sa mère. Ce facteur, dans la majorité des cas, n’est pas le plus déterminant. Il y a effectivement le milieu environnant : nos relations précoces à nos figures d’attachement primordiaux, la mère et le père en l’occurrence. Viennent ensuite les divers traumatismes, de l’enfance, de l’adolescence ou plus tardifs. Ensuite, le mode de vie détermine grandement notre santé mentale, notre bien-être : notre style de vie, les conditions socio-économiques, la santé physique, les moyens de santé, les transports, la liberté d’expression, la jouissance de ses propres droits, etc.
Peut-on parler de mal-être tunisien ?
Je ne pense pas qu’il faille parler de mal-être tunisien. Le tunisien, comme toute personne, n’échappe pas aux vicissitudes de la vie et connaîtra des moments de bien-être et des moments de mal-être. C’est vrai que la Tunisie est passée par des moments difficiles, dont la révolution et l’épidémie de la Covid. Mais souvenons-nous que les sociétés comme les personnes ne se construisent que dans la difficulté, dans l’adversité.
En revanche, au lieu du mal-être tunisien, je préfère parler de rêve tunisien. Oui, la Tunisie est un pays d’avenir nonobstant toutes les apparences. La Tunisie est le pays de tous les possibles. Il suffit d’y croire et de travailler pour. D’ailleurs, agir, être dans l’action, réduit le sentiment d’impuissance et diminue le risque de troubles mentaux.
Rejet, isolement, remarques désobligeantes, harcèlement : bon nombre de personnes souffrant de problèmes de santé mentale sont aussi victimes de préjugés ?
Là, vous parlez en fait de stigmatisation des troubles mentaux. Une personne sur cinq présente un trouble de santé mentale au cours de sa vie, selon les estimations. Malgré ces chiffres éloquents, la maladie mentale demeure un sujet tabou. Effectivement, les troubles mentaux sont stigmatisés, autant les patients, que les maladies, que les médicaments, que les soignants, les psychiatres entre autres, que la famille. Ils sont tous victimes de ségrégation, rejet et ostracisme.
A la base de cette stigmatisation, on trouve la peur et l’ignorance. Ignorance de la nature des troubles mentaux, de leurs traitements et des souffrances endurées par les patients. Cette stigmatisation est préjudiciable aux patients, à leur entourage et à la société.
Bon nombre de personnes, par crainte de paraître faible aux yeux des autres, hésitent à révéler être atteintes d’un trouble mental ou à demander de l’aide. D’autant que les comportements de stigmatisation risquent d’aggraver leurs problèmes d’anxiété, de dépression, de détresse ou autres.
Une stigmatisation qui, en plus de nuire à la prise en charge des patients, à leur accès aux traitements et à leur réinsertion, freine l’implantation de stratégies de prévention. Il est urgent de lever les tabous sur ce sujet, de déconstruire nos peurs et nos angoisses pour prendre la santé mentale au sérieux, changer de paradigme et créer les synergies nécessaires entre structures de soin et associations de soutien, et surtout en parler publiquement à nos concitoyens pour que chacun prenne conscience de l’importance de la santé mentale dans notre quotidien et participe à cette nécessaire déstigmatisation de la psychiatrie. Je sais que ces changements importants, dont nous avons tant besoin dans notre société dans le domaine de la psychiatrie, sont en cours.
L’entourage est–il porteur d’espoir pour les personnes avec un trouble de santé mentale ?
L’entourage d’une personne souffrant d’un trouble mental est important à considérer sur deux plans. D’abord, l’entourage est d’un apport important pour les soins et la prise en charge de la personne souffrant d’un trouble mental. Il est essentiel de construire avec eux une alliance thérapeutique et de les impliquer dans les soins et la prise en charge.
Peu importe l’âge d’une personne, il est important qu’elle soit bien entourée de sa famille et/ou de ses amis. Toutefois, cet aspect est encore plus important en vieillissant, parce qu’il contribue au maintien et au développement de saines habitudes de vie. La santé mentale, c’est comme la santé physique, il faut, au quotidien, poser des petits gestes pour l’entretenir ou l’améliorer. L’entourage et la famille sont une belle source d’entraide lorsque vous vivez des moments difficiles, il regorge de personnes à qui vous confier. Le fait d’avoir une famille et un réseau social proche de vous peut vous aider à vous sentir utile.
Il est important de souligner l’apport inestimable des membres de l’entourage d’une personne vivant avec un trouble de santé mentale. On oublie trop fréquemment leur contribution dans le rétablissement des gens touchés par la maladie mentale. Il peut s’agir d’une mère, d’un père, d’une sœur, d’un frère, d’un conjoint, d’une fille ou d’un fils, ou encore d’un collègue de travail. En second lieu, cet entourage peut être lui–même en souffrance et avoir besoin d’être écouté, soutenu et soulagé. Les personnes de l’entourage peuvent vivre des répercussions de la maladie ; en tentant d’aider la personne vivant une problématique de santé mentale, il arrive qu’elles perdent de vue leur propre santé, leurs besoins, et qu’elles épousent un rôle de sauveur.
Il est donc indispensable d’outiller les familles et de prendre en compte leur expérience, de soutenir les nombreux jeunes ayant un parent ou un ami vivant avec un trouble mental et de former les intervenants pour accompagner les familles.
L’écoute en milieu scolaire est-elle efficace pour les jeunes ?
Les problématiques des élèves peuvent être de l’ordre d’une symptomatologie dépressive, de stress, d’anxiété, de difficultés d’ordre cognitif, de conflits relationnels, d’idées suicidaires, de troubles psychotiques, ou encore de questionnements.
Face à ces problèmes psychiques, des campagnes de prévention et d’accompagnement psychologique sont lancées dans certains établissements par la mise en place de cellules d’écoute.
Ces cellules d’écoute reposent sur l’accompagnement des élèves en difficulté psychologique et visent à ce qu’ils puissent s’adapter et s’épanouir au mieux dans leur vie scolaire. La cellule d’écoute est souvent le premier contact qu’a le jeune adulte avec le soin psychologique. Ce premier contact peut lui permettre de mettre des mots sur son vécu et sa souffrance. Cela facilite par la suite, une recherche d’aide adéquate et une réduction de la peur d’être stigmatisé.
Quel est l’objectif du Forum de santé mentale organisé par les Rotariens de Nabeul et de Hammamet ?
Le « Rapport mondial sur la santé mentale » publié par l’OMS en juin 2022 indique que la prévalence des problèmes de santé mentale est très élevée et ce dans tous les pays. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), une personne sur quatre dans le monde vivra un trouble de santé mentale à un moment ou l’autre de sa vie. Ce qui veut dire que la santé mentale est l’affaire de tous. Chacun de nous est un acteur de l’équilibre psychologique et du bien-être des citoyens dont il a la charge ou la responsabilité. Nous devons changer notre perception en ce qui concerne la santé mentale, un enjeu majeur de société qui concerne l’ensemble des citoyens et pas uniquement les professionnels de santé.
Ce forum de santé mentale » Parlons-en, Agissons ! « est organisé par le Rotary Club Nabeul Néapolis et le Rotary Club Hammamet sous l’égide de la direction régionale de la santé de Nabeul. C’est une occasion de sensibiliser la communauté aux questions de santé mentale et de mobiliser les énergies en faveur de la santé mentale. Ce forum va appréhender les différents aspects de la santé mentale et ses enjeux et de sensibiliser le grand public à être à l’écoute de sa santé mentale, à mieux comprendre les troubles qui peuvent exister et à agir pour le rétablissement .Il cible surtout les jeunes, les parents, les enseignants, les professionnels de santé et toute notre société.
Interview par Kamel BOUAOUINA