Il faut commencer bien évidemment par féliciter toutes nos lauréates et tous nos lauréats pour leur réussite à l’examen du baccalauréat de cette année. C’est un vrai parcours du combattant qu’ils ont subi pendant, au moins, treize années de suite, avec leurs parents, beaucoup de travail, énormément de sacrifices et un effort constant à la fois physique, moral et matériel. Des moments parsemés de doutes et de certitudes, d’apaisement et de révolte contre un système éducatif en agonie, encore maintenu en survie par une force d’inertie, divine.
A tous nos bacheliers dont l’objectif fixé est réalisé pour les uns et dont le rêve est devenu réalité pour les autres, je ne peux que me réjouir pour eux en leur souhaitant la réussite et l’excellence par la suite dans les différentes épreuves qu’ils auront à affronter tout le long de leur vie, et ils sont aussi nombreux et importants que le baccalauréat. Pour ceux qui devront passer la session de contrôle ou même ceux qui vont refaire l’année du bac, j’affirme que rien n’est perdu, leurs chances restent intactes et on ne sait bien que, parfois, il vaudrait s’arrêter pour mieux repartir.
Mes pensées les plus profondes vont du côté des exclus de notre système éducatif, ceux pour qui la réussite est devenue impossible, pas à cause de leur « inné intellectuel », ils sont nés avec le même potentiel d’intelligence que celui de tous les enfants du monde. C’est nous, et nous seuls, qui par bêtise, ignorance ou indifférence, les avions placés sur la pente de l’échec, et ce depuis plus de trois décennies. Une pente qui devient au fil des années, de plus en plus raide à cause de notre refus, volontaire ou non, d’intervenir pour remettre les pendules à l’heure.
Une première lecture des données disponibles prouve que nous sommes dans des situations très comparables aux précédentes années avec un taux de réussite général de 47.2 % pour l’école publique. Ce taux s’il paraît satisfaisant en apparence n’est pas encourageant si on le ramène à une même classe d’âge dont le taux des élèves qui passerait le bac serait de 36 %, et ce d’après les résultats de l’enquête en grappe des indicateurs multiples (MICS) réalisée par l’institut National des Statistiques en 2023 et présenté au début de cette année.
Et l’on doit conclure tout simplement que le taux de réussite dans une même classe d’âge serait dans les meilleurs des cas inférieur à 20 % si l’on tient compte d’un taux de réussite général, qui avec la session de contrôle serait de 55 %. Un taux que plusieurs études réalisées au sujet de l’état de notre école confirment. Le recensement général de la population et de l’habitat réalisé en 2014 note que seulement 12 % de la population a suivi des études supérieures. Un chiffre alarmant si on le compare aux taux de réussite chez les pays dotés d’un système éducatif de qualité moyenne comme le France et dont le taux de réussite au baccalauréat est supérieur à 90 %. La France qui enregistre 6 fois moins de décrocheurs que nous, s’inquiète sérieusement de l’état de son école.
Un deuxième constat aussi grave que le premier, est celui de la forte corrélation entre les taux de réussite avec le niveau social, économique et culturel des différentes régions du pays. On note des taux de réussite supérieurs à 50 % pour les régions de la Côte Est du pays à l’exception du gouvernorat de Gabès. Les gouvernorats de Sfax, toujours en tête du peloton avec un taux de réussite de plus de 62 %, de Mahdia, Monastir et de Sousse ont des taux de supérieurs à 55 %. Le reste des gouvernorats ont des taux inferieurs à 50 %. Les gouvernorat enclavés et frontaliers, ont des taux de réussite en deçà de 40 % à l’instar de Séliana, El Kef, Tozeur, Kébili, Kairouan, Sidi Bouzid, Jendouba, Kasserine et Gafsa qui talonne le pas avec un taux de réussite 28.82 %.
Ce sont tout simplement les symptômes d’ une école à plusieurs vitesses, une école qui ne répond plus aux critères de qualité, elle n’est plus gratuite, elle n’est plus juste, et elle loin d’être plus ascenseur social. Elle survit uniquement grâce à l’investissement des familles aisées dans les cours particuliers.
Une défaillance supplémentaire qui mérite d’être signalée concerne la désertion de la section des mathématiques. Plusieurs études ont dégagé la forte corrélation entre les compétences en mathématiques et la répartition de la richesse entre les nations.En effet, le niveau de maîtrise des mathématiques anticipe d’une façon certaine la manière d’évoluer des jeunes en adultes dans les sociétés.
Les compétences dans cette matière leur ouvrent la voie pour réussir des études supérieures et elles ont un impact direct sur leurs ambitions financières une fois lancés dans la vie active. Il a été établi que les bonnes connaissances en mathématiques augmentent de façon significative les chances de réussite des individus dans la vie professionnelle.
Et l’on est en droits de se demander sur les raisons qui sont à l’origine de la fuite des candidats de cette section dont le nombre dépasse à peine les 6,5 % de l’effectif global des candidats, alors que le taux de réussite figure parmi les plus élevés (78,76%) et ce depuis plusieurs années et également sur les raisons du mutisme des décideurs sur cette anomalie vieille depuis plusieurs années.Deux points méritent d’être précisés. Le premier concerne les moyennes qui dépassent 20 sur 20. C’est une aberration de notre système de notation pour ne pas dire une stupidité de ceux qui l’ont validé ou qui tiennent bec et ongle à le justifier ou à le défendre. Les matières optionnelles au bac ont été prévues dans un temps dévolu à l’instar des 25 % au bac, pour aider les candidats à améliorer leurs moyennes, et par la même occasion augmenter les taux de réussite général au bac. C’est pour cette raison qu’ ils sont comptabilisés comme bonus à ajouter au total des notes obtenus sans qu’il lui soit attribué un quelconque coefficient.
Et aujourd’hui lorsque on s’autorise à accorder la note maximale de 20 pour l’examen de philosophie – c’est une autre aberration du système de notation – et si le candidat obtient la même note de 20 pour le reste des matières principales, le bonus qu’on ajoute au total des notes obtenus et qu’on divise par le total de coefficients nous donnerait arithmétiquement une moyenne supérieure à vingt.
Le calcul et l’informatique le permettent, mais le bon sens doit nous l’interdire. Et il faudrait s’interroger sur l’existence d’une quelconque étude qui affirme qu’un élève qui a eu une moyenne de 20.5 au bac serait meilleur par la suite qu’un élève qui a obtenu la moyenne de 18 ou même de 16. Et c’est encore trompeur d’attribuer le mérite des exploits de nos bacheliers à l’école publique. C’est grâce à leur effort et l’effort de leurs familles qu’ils ont pu réussir haut la main.
Le deuxième point concerne le rapport des bachelières par rapport aux bacheliers, en faveur des filles, un phénomène qui parait-il, prend de l’ampleur d’année en année. Il est très facile de se tromper sur les causes ou les mérites de ce phénomène si on s’arrête à une simple lecture de deux nombres. Il faut aller plus loin en comparant le taux de réussite au bac chez les filles (nombre de lauréates par rapport au nombre de filles présentes à l’examen) au même taux chez les garçons et également et en comparant le taux des décrocheuses à celui des décrocheurs.
Pour illustrer mon propos, je fais mon petit calcul en se référant à une même classe d’âge, c’est la ou les statistiques ont un sens. Si les filles réussissent deux fois que les garçons, leur taux serait de 13.3 % et celui des garçons serait de 6.7 %. Le taux d’échec -décrochage scolaire compris- si on considère que le nombre des filles égale à celui des garçons, serait de 36.7 % chez les filles et 43.3 % chez les garçons. Dans une lecture purement statistique, ces taux seraient proches.
C’est un raccourci dangereux de conclure, suite à une simple lecture des taux, que les filles réussissent 2 fois plus que les garçons et c’est un phénomène grave qu’il faudrait analyser et corriger, alors que dans l’immédiat la solution serait tout simplement de lutter contre l’échec scolaire, ce qui est le cas de notre système éducatif, et non pas faire prévaloir un constat qui demeure superficiellement valable.
Par Ridha ZAHROUNI (président de l’Association tunisienne des parents et des élèves)