Vient de paraitre aux éditions « Dar Athakafa » un nouveau recueil de poésie de Jalal El Mokh en langue française intitulé « Vers pervers ». C’est le onzième recueil de poésie écrit dans la langue de Molière, sans compter les nombreux recueils publiés en langue arabe par ce grand poète prolifique qui a déjà publié plus de quarante livres dans plusieurs disciplines (poésie, nouvelles, essai, traduction…)
La poésie est souvent considérée comme un moyen d’expression artistique délicat et subtil. Elle permet de transmettre des émotions, des sentiments profonds, voire même des idéaux universels. Cependant, certains poètes choisissent d’explorer des thèmes plus tabous et osés, donnant vie à des poèmes pervers, transgressifs et parfois choquants. Ces œuvres provocatrices s’éloignent des conventions traditionnelles de la poésie pour créer une expérience singulière, à la fois dérangeante et fascinante. C’est la nouvelle démarche adoptée par notre poète dans ce nouveau recueil qui sort des sentiers battus et ne ressemble en aucune manière à ses anciens recueils, ni en thématique, ni en style non plus.
Dans ces « vers pervers », il s’agit d’une forme d’expression artistique qui met en évidence les aspects sombres et obscurs du comportement des hommes, voire même leurs attitudes dénaturées, luxurieuses, libertines. Souvent controversés et provocateurs, ces poèmes défient les conventions sociales et cherchent à susciter des émotions complexes chez le lecteur. Ils sont une invitation à remettre en question les normes sociales et à explorer les plaisirs interdits. La langue utilisée est crue, violente, et souvent osée, afin de choquer et de bousculer les limites de la moralité.
Le poème intitulé « Jamais deux sans trois » P : 17 est un poème pervers qui explore la passion charnelle de manière crue et intense. En voici un court extrait, le poème étant très long : « Ce qui préserve ta jeunesse/ C’est ton amour des jolies fesses/ Très enthousiaste et plein d’entrain/ Grâce au breuvage des beaux seins/ Et tu sautilles comme un lièvre/ Grâce au nectar des belles lèvres/ Celles de la bouche bien entendu/ Et même les voisines du cul/ Entre anus et utérus/ Tu te détectes au mont de Vénus… »
Il en est de même dans d’autres poèmes, comme « La chanson » P : 22 où on peut lire : « Belles dames/ Bonnes femmes/ Ou goujates : Demoiselles/ Infidèles : Scélérates/ Je vous chasse/ Vous pourchasse : En toute hâte/ Je vous touche/ Sur la bouche/ Je vous gratte/ Je caresse/ Vos belles fesses/ Délicates/ Vous chatouille/ de mes couilles/ Je vous tâte… ».
Dans le poème « La supérette » P : 35, on retrouve également la même approche poétique explorant les recoins les plus intimes de la sexualité, du désir et de la débauche. On peut y lire : « Je viens d’ouvrir une supérette/ Pour les coquines et les coquettes/ Bien potelées, bien rondelettes/ Rien ne se vend rien ne s’achète/Je vous présente ma carotte/ Qui vous titille et qui vous frotte/ Vos clitoris qui tremblotent/ Il faudra bien que je vous saute/ Je vous enfile mon concombre/ Dans un petit coin, dans l’antichambre/ Loin des lumières dans la pénombre/ Combien de coup ? J’oublie le nombre/ Et je vous file ma grosse patate/ Bien suivie par mes deux tomates/ Très bonne salade dans vos chattes/ Qui vous fera lever les pattes/ »
D’autres poèmes non moins choquants sont délivrés dans ce recueil qui foisonne d’images évocatrices, de métaphores et d’allusions. Le poète utilise des mots courants et familiers, mais forts et explicites pour décrire l’objet charnel. Les vers rythmés et sensuels de ces poèmes créent une atmosphère chargée de tension érotique.
Il faut dire que c’est la rencontre du poète avec un certain individu prénommé Abdoulhak qui a déclenché la production de ces « vers pervers » qui, en réalité, ressemblent à cet individu différent de ses semblables, hostile à leur comportement et à leur manière de vivre au point d’être narcissique. Un type épicurien, un bon vivant, qui aime les plaisirs charnels et détestent les lois sociales préétablies. C’est lui qui lui dit, dès la première rencontre : « Je donnerais toute ma fortune/ Tous mes dinars et toutes mes thunes/ Pour le sourire d’une brune. » .C’est lui qui a dit aussi dans le poème intitulé « Portrait » P : 13 « Multiplions les aventures/ Faisons l’amour à toute allure/ Allez les filles d’Epicure/ C’est une belle sinécure »
Cette dimension érotique et cette tendance à la perversion et au libertinage dans ces « vers pervers » se manifestent également lors de la consultation de deux médecins dont le premier lui conseille de s’abstenir de tous les abus nuisibles à la santé et le second, au contraire, l’incite à croquer à la vie à belles dents. Ainsi, on peut lire à la page 43 ce qui suit : « Remets-toi à mes très bons soins/ Suis mes conseils, écoute bien/ Croque la vie bon Tunisien/ Car nul n’échappe à son destin/ Et tu dois bien vivre le tien/ Fuis la misère et le chagrin/ Et les horreurs de l’être humain/ Loin des jaloux et des mesquins/ Des grands faux-culs et des malsains/ Rien de tel qu’un verre de vin/ Suce les lèvres, tète le sein/ Chouchoute bien le beau vagin… »
Bref, ces « vers pervers », même avec leur contenu choquant et transgressif, demeurent un moyen d’explorer des émotions et des thèmes tabous interdits. Ces « vers pervers » peuvent susciter des controverses parmi certains lecteurs. Qu’ils soient appréciés par certains ou rejetés par d’autres, ils font partie de cette poésie dérangeante, provocatrice et anticonformiste.
Cependant, le poète rompt subitement avec ces « vers pervers » pour replonger dans d’autres vers ayant trait à des sujets récurrents de la poésie, à savoir, l’amour, la mort, l’ennui, le destin, l’espoir… Cette rupture avec la perversion et la débauche est exprimée clairement par le poète dans son poème intitulé « Post-scriptum » P : 65 où il écrit : « Ainsi s’achève l’aventure/ Me revoilà littérature/ Je laisse l’ami heureux et ivre/ Et je retourne à mes livres/ A lui le vin et la boisson/ A moi les muses du Panthéon/ Allègrement qu’il boive ses verres/ Que je retrouve poèmes et vers/ Qu’il châtie bien ses belles chattes/ Moi je reviens à mes pénates… »
Hechmi KHALLADI