Par Slim BEN YOUSSEF
Tombé en martyr en combattant les envahisseurs sur le front : du point de vue palestinien, il n’y pas plus noble et plus honorable manière de mourir. Même si la mort de Yahya Sinwar peut être perçue comme un énième coup dur porté au Hamas, il est néanmoins certain qu’elle n’affecte en rien la poursuite de la Résistance et encore moins la survie de la Cause palestinienne. Le Hamas, comme tout mouvement de résistance et de libération nationale luttant contre une puissance colonisatrice, est dépourvu de culte de la personnalité : les dirigeants qui disparaissent sont aussitôt remplacés ; la Résistance et la lutte pour la Liberté continuent. Israël a déjà réussi à plusieurs reprises à décapiter le Hamas et avant lui d’autres mouvements de résistance, mais il n’a jamais réussi à affaiblir la détermination des Palestiniens à poursuivre leur lutte pour la libération. La liste des principaux dirigeants éliminés depuis l’émergence du Hamas sur la scène palestinienne à la fin des années 1980 est assez longue – très longue. Nous citerons, sans nous y attarder, le fondateur du mouvement, Ahmed Yassine, tué le 21 mars 2004, son successeur, Abdel Aziz al-Rantissi, le 17 avril 2004, le chef des Brigades Al-Qassam, Ahmed al-Jaabari, le 14 novembre 2012 et plus récemment, le chef adjoint, Saleh al-Arouri, le 2 janvier 2024, et le chef politique, Ismail Haniyeh, le 31 juillet. Yahia Sinwar, comme tous ses prédécesseurs tués par Israël, tout comme des centaines de milliers de Palestiniens plus « anonymes », sera célébré comme un grand martyr qui a péri en combattant les envahisseurs.
Mais contrairement à ses prédécesseurs, Yahia Sinwar n’était pas un « visage médiatique » de son mouvement, autrement dit médiatiquement « narrable ». Le « mystère » qui a entouré sa vie plutôt « énigmatique » fait de lui un personnage l’on osera dire « semi-mythique », voire une espèce de héros épique qui contrairement à ses prédécesseurs inspirera, à notre sens, plus les œuvres de fiction que les livres d’histoire. Sa vie, dont il a le secret, il en a passé le tiers en réfugié, l’autre tiers en prison et le dernier tiers en clandestin, étant l’homme le plus recherché d’Israël. Son mythe, il l’a forgé en préparant minutieusement le plan du plus grand « coup » que la Résistance palestinienne n’ait jamais porté à l’envahisseur sioniste, en participant ensuite à son exécution puis en résistant pendant plus d’une année de génocide à l’intérieur de Gaza avant de mourir de la manière la plus noble, la plus « héroïque ». Les livres d’histoire le citeront inéluctablement mais ne pourront jamais sonder le terrain « impénétrable » de la vie du personnage. Un espace que la fiction pourra bien embrasser. Lui-même s’en était rendu compte à un moment donné de sa vie. Publié en 2004 et traduit en français en 2024, son roman autobiographique L’Épine et l’Œillet (Al-Shawk wa’l Qurunful) racontait à la première personne, l’histoire du voyage initiatique d’ « Ahmed », celle de deux familles de Gaza et Hébron, et celle de deux mouvements de résistance étroitement imbriqués. Le texte, sorti clandestinement feuille après feuille de la prison israélienne où il était enfermé pendant le tiers de sa vie, entremêle les éléments de la fiction et les faits réels pour un mélange hybride et extraordinaire d’ « histoire » et de « mythe », comme fut exactement sa vie.
Yahia Sinwar, illustre résistant doublé d’un romancier, défendait une idée et les idées ne meurent pas. Paix à son âme et longue vie à la Cause palestinienne.