Réuni récemment au palais de Carthage sous la présidence du Chef de l’Etat, le Conseil des ministres a examiné deux projets de loi d’envergure, qui pourraient bien marquer un changement significatif dans la politique de l’habitat en Tunisie. En s’attaquant frontalement aux freins structurels qui empêchent une large partie de la population d’accéder à un logement stable et adapté, les autorités semblent vouloir traduire dans les faits une ambition longtemps évoquée : garantir à chaque Tunisien un toit dans des conditions financières réalistes.
Ceci pour le premier projet. Le deuxième concerne l’insertion professionnelle des sans-emploi dont le chômage a longtemps duré.
L’un des projets phares introduits lors de ce conseil concerne la révision du cadre juridique qui régit les logements à caractère social. En modifiant une loi en vigueur depuis la fin des années 1970, les autorités souhaitent introduire davantage de souplesse dans les modalités d’acquisition des logements construits avec l’appui de l’État.
L’une des innovations majeures repose sur l’introduction d’un dispositif de vente progressive, permettant aux bénéficiaires de payer leur logement par étapes, voire d’y accéder via une formule locative évolutive. Cette mécanique vise à éliminer l’un des principaux obstacles à l’accession à la propriété : la nécessité de disposer d’un capital initial important, souvent hors de portée pour les ménages moyens ou en situation précaire.
Un modèle de logement social plus inclusif
La réforme envisagée ne se limite pas à un seul organisme public. Elle étend cette souplesse à d’autres structures publiques impliquées dans la construction de logements, notamment la principale entreprise immobilière nationale. En harmonisant les prérogatives entre les institutions concernées, l’Etat élargit le champ des bénéficiaires et multiplie les opportunités d’accès à des logements convenables dans tout le pays.
Le système envisagé ne constitue pas un simple allègement administratif, il représente un changement de paradigme, en ce qu’il place la réalité économique des citoyens au centre des préoccupations. Les familles modestes, souvent exclues du circuit bancaire traditionnel ou confrontées à une instabilité professionnelle, pourraient désormais espérer bâtir leur avenir sans s’endetter au-delà du raisonnable.
Vers une politique plus équitable
Les enjeux de cette réforme dépassent le simple cadre de la propriété foncière. Il s’agit d’un levier stratégique pour renforcer la cohésion sociale, réduire les inégalités territoriales et revitaliser des segments entiers du tissu urbain. Un logement stable constitue un socle fondamental pour la sécurité personnelle, l’insertion professionnelle, la réussite scolaire des enfants et, plus largement, pour la dignité humaine.
En ciblant prioritairement les Tunisiens aux revenus modestes et intermédiaires, la démarche se veut réparatrice. Elle reconnaît implicitement qu’une large frange de la population a été longtemps tenue à l’écart des mécanismes d’accession à la propriété, malgré des années de travail ou de contribution au développement économique.
Une dynamique plus large de réformes sociales
Lors de ce même conseil ministériel, d’autres mesures d’importance ont également été débattues, notamment celles touchant à l’insertion professionnelle. Les projets de loi concernant la réintégration des demandeurs d’emploi de longue durée témoignent d’une volonté politique d’agir en profondeur sur les racines de la précarité.
En mobilisant plusieurs ministères autour de cette problématique — logement, emploi, affaires sociales —, l’Exécutif semble vouloir tisser une réponse globale et coordonnée à la détresse sociale. Il ne s’agit plus uniquement de mesures ponctuelles, mais d’un effort structurel pour reconstruire le lien entre le citoyen et l’État, entre les institutions et les besoins concrets de la population.
Une réponse à une crise latente
L’urgence de telles initiatives s’explique aisément par le contexte économique national. La crise du logement en Tunisie est devenue un enjeu central. Dans de nombreuses régions, les loyers flambent, les logements insalubres prolifèrent et la spéculation foncière empêche toute régulation équitable du marché. Les jeunes, en particulier, peinent à quitter le foyer parental, non par choix mais par contrainte financière.
À cette réalité s’ajoute une urbanisation désordonnée, où les logements sociaux sont souvent relégués en périphérie, mal desservis, parfois sans équipements de base. Les nouvelles propositions pourraient remédier à ces déséquilibres, à condition que leur mise en œuvre soit rigoureuse et qu’un suivi soit assuré par les autorités locales.
Si l’intention politique semble claire, la réussite de cette réforme dépendra de plusieurs facteurs : la transparence dans l’attribution des logements, l’efficacité des mécanismes de financement, la capacité des entreprises publiques à construire à des coûts maîtrisés et l’aptitude de l’administration à accompagner les citoyens tout au long du processus.
Ce changement de cap pourrait représenter une réponse concrète aux frustrations croissantes d’une population qui attend des gestes forts, palpables et tournés vers l’amélioration de son quotidien. En mettant l’accent sur l’habitat comme socle de la stabilité sociale, les autorités tunisiennes ouvrent peut-être une nouvelle page dans la lutte contre l’exclusion.
Leila SELMI
