Le déficit cumulé de la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) et de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), les deux principales caisses de sécurité sociale en Tunisie, devrait culminer à un montant record de plus de 2,5 milliards de dinars d’ici fin 2025, selon des sources proches du ministère des Affaires sociales.
D’après les dernières statistiques disponibles, la CNSS a affiché à fin 2024, un déficit de 1,2 milliard de dinars contre 950 millions de dinars en 2023. Ce déficit devrait dépasser 1,4 milliard de dinars d’ici la fin de l’année en cours, en raison notamment des augmentations de 7% des pensions accordées en mai dernier aux retraités.
La CNRPS a, quant à elle, vu son déficit atteindre 708 millions de dinars en 2024, contre 600 millions de dinars en 2023. Selon les projections, ce déficit devrait connaître une forte hausse en 2025 pour s’établir à plus de 1,1 milliard de dinars.
Les déficits de ces deux caisses se répercutent également négativement sur la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), qui réalise des excédents, mais dont les ressources sont siphonnées par la CNSS et la CNRPS depuis 2015, année durant laquelle les autorités ont fait le choix de privilégier le versement des pensions de retraite en puisant dans les ressources du régime national d’assurance-maladie au lieu de procéder à une réforme audacieuse et urgente des régimes de retraite.
Le déficit des régimes de sécurité sociale est d’ordre structurel. Le trou béant de la « Sécu » trouve essentiellement son origine dans les mutations démographiques et socio-économiques qu’a connues la Tunisie au cours des dernières décennies. Il s’agit notamment du vieillissement de la population (le taux des personnes âgées de 60 ans et plus est passé de 5,58% en 1966 à 16,68% en 2024), de la hausse de l’espérance de vie (75 ans), de la propagation des emplois précaires et de l’essor de l’économie informelle. A cela s’ajoutent l’augmentation du taux de chômage dans un contexte de croissance économique atone, l’accès tardif des jeunes à la vie professionnelle et la multiplication des plans sociaux et des départs à la retraite anticipée.
Au regard de ces divers facteurs, le ratio moyen actifs/retraités pour les deux caisses sociales (nombre de salariés actifs qui paient grâce à leurs cotisations les pensions des retraités, NDLR) a ainsi baissé à une vitesse vertigineuse au cours des trois dernières décennies. La moyenne actuelle pour les deux caisses (CNSS et CNRPS) est de moins de trois actifs pour un retraité (1,391 million de personnes bénéficient d’une pension de retraite contre 3,409 millions de personnes actives).
Stimuler la croissance économique et élargir l’assiette des cotisations
Les recettes traditionnelles figurant dans la boîte à outils des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), dont le relèvement de l’âge du départ à la retraite, la révision à la hausse des cotisations et l’instauration d’une contribution sociale de solidarité (CSS), ne suffisent plus à inverser la tendance haussière du déficit des caisses sociales au fil des années.
D’après les experts, l’intérêt devrait essentiellement se porter sur la stimulation de la croissance économique pour favoriser l’arrivée sur le marché du travail de centaines de milliers de jeunes dont les cotisations serviront à financer les pensions des personnes âgées, et l’élargissement de l’assiette des cotisations à travers l’intégration des travailleurs du secteur informel dans l’économie réelle, l’intégration des emplois émergents ou atypiques comme le travail indépendant (freelance), les contrats de prestation de services et la lutte contre la sous-déclaration des travailleurs et le travail au noir.
Les experts suggèrent d’autre part la possibilité de recourir au système de retraite par capitalisation, en complément de l’actuel système de retraite par répartition.
Contrairement au système de retraite par répartition, qui repose sur un principe de solidarité intergénérationnelle (les cotisations versées par les actifs d’aujourd’hui servent à payer les pensions des retraités), le système de retraite par capitalisation permet aux actifs d’épargner en vue de leur propre retraite. Cette épargne fera l’objet de placements par des fonds de pension ou de compagnies d’assurance-vie, dont le rendement dépendra essentiellement de l’évolution des marchés financiers et des taux d’intérêt. Les sommes accumulées seront reversées à l’assuré après son départ à la retraite sous forme de capital, de rente viagère ou les deux. Ces différents dispositifs de capitalisation, qui visent à compléter les pensions dues au titre des régimes de retraite par répartition, peuvent être souscrits soit individuellement ou collectivement.
D’autres pistes sont par ailleurs en train d’être explorées au niveau du ministère des Affaires sociales. Il s’agit notamment d’une fiscalisation accrue du financement des régimes de sécurité sociale. Il s’agit, en d’autres termes, d’instaurer des taxes parafiscales sur les comportements à risque comme le tabagisme, la consommation de l’alcool, ainsi que sur les paris sportifs et les activités économiques polluantes. Des taxes parafiscales spécifiques pourraient également cibler certains secteurs d’activité économique florissants tels que ceux de la banque, des assurances et des cliniques privées.
Walid KHEFIFI
