L’endettement global des particuliers auprès des banques a atteint 29,4 milliards de dinars à fin 2024, contre 28,7 milliards une année auparavant, soit une hausse de 2,3% en glissement annuel, selon le dernier rapport de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Dans le détail, les crédits à la consommation (aménagement de logements, dépenses courantes, découverts, acquisitions de véhicules, etc.) ont atteint 16,39 milliards de dinars en 2024, enregistrant une augmentation de 3,5% par rapport à 2023, tandis que les crédits à l’habitat ont totalisé 13,01 milliards de dinars, soit une légère augmentation de 0,8% comparativement à l’année précédente.
Le rapport révèle également que le montant global des créances impayées ou en contentieux ont connu une hausse de 3%, pour s’établir à 1,38 milliard de dinars.
Le montant colossal de l’endettement des particuliers auprès des banques ne représente en réalité que la partie émergente de l’iceberg, en l’absence d’une base de données qui couvre tous les établissements pouvant servir des crédits aux particuliers. Faute de liquidités et parce que le salaire est englouti en quelques jours, les Tunisiens jonglent avec plusieurs types de crédit.
Les prêts accordés par les caisses sociales, les mutuelles des fonctionnaires ou des salariés des entreprises publiques et les fonds sociaux créés au sein des entreprises et des établissements publics ainsi que les crédits à court terme (avances sur salaire par exemple) ne sont pas comptabilisés dans la détermination des ratios d’endettement des ménages tunisiens. A cela s’ajoutent d’autres formules plus insidieuses comme le recours aux commerces proposant la vente à tempérament ou les emprunts auprès des proches ou des amis. Du logement au téléphone portable dernier cri en passant par les appareils électroménagers, le financement des études des enfants et même les vacances à l’étranger, les Tunisiens usent et abusent des prêts de tout genre pour satisfaire leurs envies consuméristes en ces temps de fortes poussées inflationnistes et de hausse de taux d’intérêt appliqués par les banques, quitte à se trouver happés dans une spirale infernale d’endettement.
Impacts sociaux dangereux
Une enquête réalisée par l’Institut national de la consommation (INC) sur l’endettement des ménages a révélé qu’environ 1,8 million de familles tunisiennes ne peuvent pas se passer de tous types et de toutes sortes de dettes et ne peuvent pas vivre sans dettes en raison de leur situation difficile. De plus, six Tunisiens sur dix sont systématiquement ou souvent «dans le rouge» (découvert bancaire), et 30% des ménages interrogés ne sont pas conscients du coût élevé de cette situation qui implique l’application d’«agios» (frais facturés par la banque lorsqu’un compte passe en découvert) par les banques.
Deux tiers des ménages tunisiens considèrent, dans la situation économique actuelle, qu’il leur est «impossible de vivre sans s’endetter».
L’envolée de l’endettement des ménages ne trouve pas uniquement son origine dans les folies dépensières d’une bonne partie de la population tunisienne. Elle s’explique également par la paupérisation rampante de la classe moyenne qui représentait la base de la pyramide sociale. Selon les dernières estimations du Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), la classe moyenne est passée de 84% en 1984 à 70% en 2010 et à 50% en 2018. En l’absence de statistiques plus récentes, ce taux aurait nettement chuté pour s’établir à moins de 40% actuellement, selon plusieurs experts.
Selon une étude menée en 2019 par la Fondation Friedrich Ebert Stiftung, le budget de la dignité pour une famille de 4 personnes vivant dans le Grand Tunis serait de 2400 dinars par mois. Ce montant représente six fois le montant du salaire minimum, d’après l’enquête qui a estimé que la moitié des ménages vivant dans cette région n’ont pas accès à ce «budget de la dignité».
Une étude de l’Observatoire de protection du consommateur et du contribuable a par ailleurs révélé que près de 50% des salariés dépensent la totalité de leurs revenus entre les 12 et 13 de chaque mois. Cette même étude a également montré que 17% des familles tunisiennes ne consomment pas de la viande et que 38% des familles tentent de faire leurs provisions dans les espaces commerciaux spécialisés dans la vente du producteur au consommateur pour tenter de juguler la flambée des prix des produits alimentaires.
Selon les experts, cette inquiétante baisse du pouvoir d’achat des ménages risque d’avoir des répercussions sociales désastreuses (prison, contentieux, divorces, etc.). Le sociologue Belaïd Ouled Abdallah estime dans ce cadre que les difficultés financières sont à l’origine du quart des cas de divorce en Tunisie. Les banques sont, quant à elles, de plus en plus exposées au risque d’augmentation du volume des créances carbonisées et de manque de liquidités.
Walid KHEFIFI
