La saison agricole en cours a marqué un tournant pour la filière céréalière en Tunisie. Les récoltes de blé, d’orge et d’autres variétés ont atteint un volume inédit depuis cinq ans, traduisant à la fois les efforts des producteurs et les mesures d’accompagnement de l’État. Cette performance constitue une bouffée d’oxygène dans un contexte mondial marqué par des tensions sur les marchés alimentaires et une dépendance croissante vis-à-vis des importations.
Ces dernières années, la Tunisie a souffert de récoltes irrégulières, affectées par les sécheresses successives, le manque d’infrastructures d’irrigation et la flambée des coûts de production. Face à ces défis, la production nationale n’a pas toujours suffi à couvrir les besoins locaux, obligeant le pays à accroître ses importations, notamment de blé tendre destiné à la fabrication du pain. La campagne de cette année change la donne. Les agriculteurs, bénéficiant de conditions climatiques relativement favorables durant certaines phases critiques du cycle de croissance, ont réussi à tirer profit des terres arables, donnant lieu à une collecte jugée exceptionnelle. Au-delà de l’aspect quantitatif, cette récolte a permis de regagner la confiance des cultivateurs et de montrer que la Tunisie dispose encore d’un potentiel agricole significatif, capable de réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger.
Une dynamique à consolider
Les autorités voient dans ce résultat une occasion à saisir pour amorcer une stratégie durable d’autosuffisance. L’idée n’est pas uniquement de répondre aux besoins immédiats, mais aussi de construire une filière céréalière robuste qui puisse résister aux aléas climatiques et aux pressions internationales.
À ce titre, l’État a déjà pris des mesures concrètes. Pour la prochaine saison, qui débute officiellement le 1er septembre 2025, 600 000 quintaux de semences certifiées seront mis à la disposition des exploitants. Il s’agit principalement de blé dur, une variété particulièrement appréciée sur le marché local et utilisée pour la production de pâtes, de semoule et de couscous. L’objectif est clair : améliorer les rendements, uniformiser la qualité et encourager une culture qui s’adapte aux spécificités régionales du pays.
Des semences de qualité pour booster les rendements
L’accès à des semences performantes constitue un levier essentiel pour accroître la productivité. Trop souvent, les agriculteurs se sont retrouvés contraints d’utiliser des semences de moindre qualité, faute d’approvisionnement ou de soutien. Cette année, le dispositif mis en place permettra non seulement d’améliorer la qualité des récoltes, mais aussi d’évaluer de façon plus fine les besoins des producteurs. Dès cette semaine, des équipes spécialisées se rendront sur le terrain afin d’analyser les demandes régionales. Cette démarche vise à ajuster la distribution en fonction des caractéristiques propres à chaque zone agricole : climat, type de sol, ressources en eau et pratiques culturales. C’est une approche qui marque une rupture avec le passé, en privilégiant l’adaptation et la proximité plutôt qu’une politique uniforme.
Une stratégie nationale pour la sécurité alimentaire
La question des céréales en Tunisie dépasse largement le cadre agricole. Elle touche directement à la sécurité alimentaire et, par conséquent, à la stabilité sociale et économique du pays.
En effet, le pain et les produits dérivés du blé occupent une place centrale dans l’alimentation tunisienne. Or, toute hausse des prix internationaux ou toute rupture d’approvisionnement se répercute immédiatement sur le pouvoir d’achat des ménages et sur la balance commerciale. En renforçant sa production locale, la Tunisie cherche donc à se prémunir contre les fluctuations mondiales. Cette orientation s’inscrit également dans une logique de souveraineté, permettant au pays de reprendre en main son destin alimentaire. Toutefois, les défis restent importants : modernisation des techniques de culture, amélioration de l’irrigation, lutte contre le gaspillage post-récolte et organisation des circuits de distribution.
Derrière ces chiffres se cachent surtout des milliers de producteurs qui, malgré les difficultés, continuent de miser sur la terre. Leur travail acharné a permis d’atteindre les résultats actuels. Mais pour maintenir cette dynamique, ils réclament un accompagnement durable : accès facilité au crédit, subventions ciblées pour les intrants, mécanisation adaptée aux petites et moyennes exploitations. L’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) insiste d’ailleurs sur l’importance d’un partenariat solide entre l’État et les acteurs du secteur. Selon ses responsables, seule une collaboration étroite permettra de pérenniser les acquis et de transformer cette réussite ponctuelle en tendance durable.
Une lueur d’espoir dans un contexte incertain
Alors que le monde fait face à des crises multiples – climatiques, géopolitiques et économiques – la Tunisie peut se féliciter de ce pas en avant. Certes, il ne résout pas tous les problèmes structurels, mais il constitue une base solide pour construire une vision à long terme. La prochaine campagne agricole, qui se profile dans quelques jours, sera donc déterminante. Elle devra confirmer les progrès réalisés et démontrer que l’agriculture tunisienne est capable de se réinventer. Les semences de qualité, les efforts de planification et la mobilisation des agriculteurs seront les ingrédients essentiels de cette nouvelle étape. Si cette dynamique se poursuit, la Tunisie pourra espérer réduire progressivement sa dépendance aux importations, renforcer sa sécurité alimentaire et offrir à ses citoyens une certaine stabilité face aux turbulences du marché mondial.
Leila SELMI
