Par Slim BEN YOUSSEF
En Tunisie, l’élite savante s’épuise dans la file du chômage. Plus de sept mille docteurs patientent, alignés comme des piquets dans le vent. Une génération condamnée à réciter ses thèses dans la rumeur stérile des vestibules publics. Leurs deux recherches – d’emploi et de savoir – butent sur la même porte close : délais, paperasse, absence de laboratoire, pénurie d’horizon.
Le doctorat, ici, a perdu l’altitude du sommet : hier, un passeport d’excellence ; aujourd’hui, une simple pièce d’identité sans valeur d’échange. Ses titulaires sont les captifs d’un système qui a transformé le diplôme en relique. Un savoir stérilisé : horizon fermé, énergie gaspillée, société mutilée.
Le problème n’est pas conjoncturel. Trois décennies ont étiré l’enseignement supérieur jusqu’à la dislocation. Filières en excès, parcours gonflés, excellence simulée. L’université a fait de la masse son enjeu, du LMD son cobaye. Résultat : diplômes sans valeur, marché sans débouché, jeunesse désaxée.
Corriger la dérive exige moins de compassion que de clairvoyance. Un processus clair ? Une voie praticable : concours transparents, recrutement méritocratique, salaires équitables. Les enrôler dans la recherche, l’administration ou l’enseignement supérieur est un investissement : semence de connaissance, gisement d’innovation, capital de crédibilité pour l’État social.
Il faut retendre la chaîne entière, de l’école primaire au laboratoire : sans réforme, pas de République du savoir ; sans République du savoir, pas d’avenir national. La responsabilité est immense : transformer une crise chronique en opportunité nationale. Au bout du compte, un État providence se mesure moins à ses urgences colmatées qu’à ses réformes durables : des hôpitaux solides, des routes sûres, des écoles claires, des universités vivantes, une recherche féconde, des services publics fiables.
Au cœur de ce chantier, il y a des femmes et des hommes qui ont labouré la connaissance. Leur savoir est rigoureux, leur pratique maîtrisée, leur vocation intacte, mais leur existence reste précaire. Donnons-leur des conditions justes : l’université revivra, et avec elle la mémoire vivante d’un pays qui se pense. La souveraineté d’un peuple instruit.
