Le 2 septembre 2025, la ministre des Affaires culturelles a annoncé que la famille du regretté Chedli Klibi, homme de culture et ancien secrétaire général de la Ligue arabe, a signé un accord avec la bibliothèque nationale en vertu duquel une riche collection d’ouvrages lui appartenant sera intégrée au fonds de l’institution.
Le don de la bibliothèque personnelle du défunt Chedli Klibi à la Bibliothèque nationale n’est pas un simple transfert d’ouvrages. C’est un acte hautement symbolique, un geste de fidélité à une vie tout entière vouée à la culture et au service de la Tunisie. Chedli Klibi n’était pas seulement ministre de la Culture, secrétaire général de la Ligue arabe ou intellectuel engagé.
Il incarnait la vision d’un pays qui croit au pouvoir des idées, de la lecture et du savoir comme levier d’émancipation et d’ouverture sur le monde. Il a joué un rôle prédominant dans la promotion de la culture et des Arts, en plus de la formation de la première génération de journalistes à la radio et à la télévision nationale. C’est lui qui a contribué en tant que ministre de la Culture à l’épanouissement des festivals de Carthage et de Hammamet, ou des journées cinématographiques de Carthage et des soirées musicales et théâtrales, ainsi que de la plupart des manifestations culturelles qui se poursuivent de nos jours.
L’héritage d’un intellectuel et d’un militant
En choisissant de mettre à la disposition du grand public les ouvrages qui ont nourri sa pensée et guidé son action, sa famille a prolongé l’œuvre de toute une vie. Ce legs dépasse le cadre strictement personnel. Il rejoint le patrimoine national, offrant aux générations présentes et futures une porte d’entrée dans l’univers intellectuel d’un homme d’État dont l’héritage ne peut se réduire aux honneurs officiels. Cet héritage n’est pas seulement celui d’un homme de culture, mais aussi celui d’un militant. Neveu de Mohieddine Klibi, cofondateur du Destour et figure de la lutte anticoloniale, Chedli Klibi a su conjuguer l’amour des lettres avec la cause nationale. À travers sa bibliothèque, riche en ouvrages arabes et français, c’est tout un parcours intellectuel qui se met à la disposition des chercheurs, des étudiants et du grand public. À l’heure où la lecture tend à se marginaliser face à l’instantanéité numérique, ce geste revêt une dimension presque militante. Il rappelle qu’un pays se construit aussi par ses bibliothèques, par la circulation du savoir et par la mise en commun de ce qui, autrement, resterait confiné dans des cercles privés. En offrant ce trésor à la Bibliothèque nationale, sa famille n’a fait que respecter sa mémoire car il était convaincu que la culture est un bien collectif, un héritage qui n’a de valeur que lorsqu’il est partagé. Il avait également la conviction que la culture est une arme contre le sous-développement et la meilleure voie à l’essor économique et social. Sa vision s’inscrivait dans la lignée des grands penseurs tunisiens tels que, Ibn Khaldoun, Saint Augustin et les réformateurs de la trempe de Tahar Haddad, pour qui la culture était indissociable de la justice sociale et du progrès.
Démocratiser la culture grâce aux bibliothèques ambulantes
Ayant commencé par enseigner, une fois rentré de Paris avec le grade d’agrégé de lettres classiques de l’Université de la Sorbonne, il incitait ses élèves à la lecture en les engageant à lire autant les Prolégomènes de Ibn Khaldoun que les romans de Jean Paul Sartre ou de Camus qui étaient à l’honneur à cette époque. Il avait rassemblé dans sa bibliothèque de précieux recueils en langue arabe et en langue française. Dès qu’il entendait un vers d’un poète arabe, il s’empressait de commander le recueil entier comportant tous ses poèmes. Il était féru de lecture plus que d’écriture. Sa passion pour la lecture dépassait celle de l’écriture. Sa bibliothèque, riche et variée, rassemblait ainsi des ouvrages en arabe comme en français, couvrant un large éventail d’horizons intellectuels. Bien qu’ayant produit peu d’ouvrages, malgré son haut niveau littéraire et sa grande aisance d’élocution, il maîtrisait la langue arabe avec fluidité, dans un style plus accessible que celui, jugé ardu, de Mahmoud Messadi, écrivain et ancien ministre de l’Éducation à l’aube de l’indépendance. Taha Hussein, le doyen de la littérature arabe, avait d’ailleurs relevé ce caractère hermétique en lançant cette boutade à propos de l’œuvre Assoud (Le barrage) de Messadi : «Avec cette œuvre, vous avez mis un barrage entre vous et vos lecteurs». Cela n’enlève toutefois rien à la profondeur philosophique et à la valeur littéraire des écrits de Messadi, qui ont marqué le XXe siècle arabe. Chedli Klibi, quant à lui, a préféré œuvrer à démocratiser la culture et à élever le niveau intellectuel de la jeunesse tunisienne. Dans les années soixante, il a lancé les bibliothèques ambulantes : des camions chargés de livres et de romans sillonnaient villes et campagnes, apportant le goût de la lecture jusque dans les régions les plus reculées. Cette initiative, pionnière et populaire, illustre bien sa conviction que la culture doit être un bien partagé, accessible à tous et non réservé à une élite.
La culture, socle de la dignité et du progrès
Il appartient désormais aux institutions de valoriser ce fonds, d’en faciliter l’accès et d’en faire un outil vivant de recherche et de formation. Mais il revient aussi à chacun de nous de redécouvrir, à travers ces pages, le dialogue entre un homme et son époque, entre un intellectuel et son pays. Dans un monde marqué par l’éphémère, ce don nous rappelle que la culture est ce qui demeure. L’héritage de Chedli Klibi n’est pas seulement conservé, il continue à irriguer l’avenir. Chedli Klibi a pu mener au cours de sa carrière des réformes d’importance tant dans le domaine de la Culture en tant que ministre que durant toute la période où il était à la tête de la Ligue des Etats arabes qui avait besoin d’une mise à niveau dans le domaine de l’administration et des nouvelles technologies de la communication. Aujourd’hui, ce sont ses propres ouvrages, constituant le fruit d’une vie entière consacrée à la lecture et à la transmission, que sa famille a choisi de mettre à la disposition de la collectivité. Ce don à la Bibliothèque nationale prolonge son engagement qui est celui d’un homme qui croyait fermement que la culture est le socle de la dignité et du progrès.
Ahmed NEMLAGHI
