Avec la diminution des ressources due au réchauffement climatique, le problème de l’eau s’est généralisé partout dans le monde. Toutefois en Tunisie, vient s’imbriquer en outre la question de gestion de la distribution à travers tout le pays, qu’il s’agisse des grandes villes ou des différentes régions de la République. Cela se manifeste surtout en été, période où la consommation de l’eau augmente.
C’est ce qu’a fait remarquer récemment l’expert en climat et en ressources en eau, Houcine Rhili, lors de son intervention sur les ondes d’une radio de la place, en expliquant que les Tunisiens ressentent de plus en plus les effets de la rareté de l’eau, qui se manifestent par les coupures d’eau devenues fréquentes surtout au cours de cet été, quoique ce problème de coupure ait tendance à s’étendre à toute l’année.
Il a souligné, en outre, qu’il y a un déséquilibre notoire dans la distribution de l’eau par la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE) en précisant que «près de 35% des Tunisiens, soit environ 3,5 millions de citoyens, n’ont pas un accès régulier à l’eau potable». Un constat alarmant dans un pays où la ressource hydrique est pourtant disponible, mais mal répartie. Il a ajouté que certains vivent à seulement quelques centaines de mètres des barrages, mais peinent malgré tout à obtenir de l’eau. En effet, à part les coupures nécessitées par des travaux, la distribution a été rationnée dans certaines régions, alors que dans certaines grandes villes, les coupures d’eau sont rares.
Politique de gestion et distribution de l’eau à revoir
Par ailleurs, il y a des régions qui ne sont pas du tout provisionnées en eau, alors qu’il s’agit de régions qui vivent des cultures. L’exemple du village de Mzeta, relevant de la délégation de Bargou dans le gouvernorat de Siliana, en est un exemple particulièrement révélateur. Les habitants y sont totalement privés d’eau potable. Bien que se situant à quelques centaines de mètres de barrages, cette localité n’est pas raccordée au réseau de la SONEDE. Les familles y recourent avec leurs propres moyens, se procurant de l’eau dans les régions voisines, le plus souvent moyennant finances, ce qui favorise l’émergence de pratiques spéculatives où certains profitent des difficultés des autres. Un constat qui met en lumière une inégalité territoriale flagrante et qui soulève de sérieuses interrogations quant à la politique de gestion et de distribution de l’eau. Il faut un investissement plus structuré pour étendre les réseaux aux zones rurales, avec en outre, une meilleure gouvernance qui soit plus réactive, afin de ne plus avoir ce fossé entre les régions.
Attention aux fibres d’amiante néfastes pour la santé
Par ailleurs, l’expert a évoqué le problème du coût de l’eau, devenu très élevé même pour le Tunisien moyen, en soulignant que les ménages dépensent près de 18% de leur revenu mensuel pour l’eau potable dont la qualité s’est dégradée selon l’expert, à cause de l’état catastrophique du réseau de distribution, précisant que dans plusieurs zones, l’eau contient de l’amiante, une matière néfaste pour la santé. En effet, les fibres d’amiante peuvent être à l’origine de certaines maladies graves. En 2009, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a considéré que l’exposition aux fibres d’amiante peut provoquer le cancer du larynx ou de l’ovaire.
Histoire d’eau durant la période coloniale
L’eau est un droit et non un luxe, car il s’agit d’un élément nécessaire pour la vie. Dans la Tunisie d’antan, lorsque le pays n’avait pas encore recouvré sa souveraineté, le problème de la gestion de distribution de l’eau aux citoyens posait d’énormes problèmes. Les occupants se souciaient peu de l’intérêt des «indigènes» comme ils se plaisaient à les appeler. Ils ne pensaient qu’au profit. Jean Caniage, un écrivain français, a évoqué dans son ouvrage «Les odeurs de la Tunisie» qu’en 1884, les tarifs de consommation d’eau à la capitale ont augmenté à cause d’une nouvelle concession qui a été confiée à un banquier français, aux fins de l’entretien et de l’exploitation des eaux de Zaghouan pour l’alimentation de Tunis et ses proches banlieues. Les habitants ont refusé de payer, ce qui engendra la coupure de l’eau dans toute la capitale. L’affaire a pris une ampleur politique incitant le bey de l’époque à intervenir. Mais le problème ne fut pas résolu pour autant, car les habitants ont fini par se résigner à payer le nouveau tarif.
Nécessité d’un plan de modernisation du réseau de la SONEDE
Aujourd’hui, la problématique est différente car il s’agit essentiellement d’une question de dysfonctionnement et de gestion interne. Face au déséquilibre notoire dans la distribution, il devient urgent d’engager une réforme en profondeur de la gouvernance de l’eau en Tunisie. Cela passe nécessairement par la mise en œuvre d’un plan national de modernisation et d’extension du réseau de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE) et ce, dans le but de garantir un accès régulier et équitable à l’eau potable pour toutes les régions, y compris les zones rurales enclavées. De même qu’une meilleure coordination entre les autorités locales, les structures agricoles et les instances nationales, permettrait d’adapter la distribution aux besoins réels des populations et des cultures. Par ailleurs, cela permettrait d’adapter la distribution aux besoins réels des populations et des cultures.
Ainsi, garantir un accès équitable à l’eau n’est pas un privilège, mais une obligation et un droit fondamental pour chaque citoyen. Tant que la SONEDE ne disposera pas des moyens et de la vision nécessaires pour assurer une gestion moderne et rationnelle de ce bien vital, les inégalités continueront de se creuser, au détriment du développement régional et de la cohésion sociale. Réformer la gouvernance de l’eau en Tunisie n’est plus un choix, c’est une urgence nationale, car là où l’eau n’arrive plus, c’est la vie elle-même qui recule. Cette question figure d’ailleurs parmi les préoccupations constantes du Président de la République Kaïs Saïed, qui ne cesse d’appeler à la mobilisation de tous les moyens nécessaires pour garantir aux citoyens un service public digne et conforme à l’intérêt du peuple.
Ahmed NEMLAGHI
