Par Ridha ZAHROUNI, président de l’Association tunisienne des parents et des élèves
A la veille du démarrage d’une nouvelle année scolaire, une telle question trouverait sa légitimité quand notre système d’éducation en général, et notre école publique en particulier, tombent en ruine. Tous les indicateurs sont pratiquement au rouge, un taux de décrochage scolaire qui dépasserait 50 % de nos élèves de la même classe d’âge, une moyenne de 100 mille élèves éjectés dans nos rues chaque année et depuis plus de 40 ans, des taux de réussite aux examens nationaux qui ne dépasseraient pas 30 % quand on les rapporte à la moyenne de 200 mille élèves qui démarrent leur scolarisation la même année, , la fuite de la section des mathématiques avec moins de 5 % des candidats chaque année, la flambée du marché des cours particuliers, on parle d’un chiffre d’affaire qui serait entre 1.5 et 3 milliards de dinars, la recrudescence du phénomène de la violence dans le milieu scolaire, la dégradation des infrastructures et des conditions de vie dans nos établissements scolaires, etc. Tout ce qu’il faut comme ingrédients pour ébranler le peu de confiance qu’a la société tunisienne dans son école publique et provoquer la fuite de ceux qui ont les moyens vers l’école privée. Un constat qui nous interroge de plus sieurs autres façons sur l’école de demain que nous devrions bâtir ou sur le nouveau modèle éducatif que nous devrions mettre en place, comme si l’école tunisienne devrait être pensée sans tenir compte de son passé et d’une façon unique et singulière dans sa conception.
Partons tout d’abord des principales fonctions assignées à notre école telles que stipulées par la loi d’orientation 2002-80 du 23 juillet 2002, relative à l’éducation et à l’enseignement. L’école veille, dans le cadre de sa fonction d’éducation, en collaboration avec la famille et en complémentarité avec elle, à éduquer les jeunes au respect des bonnes mœurs et des règles de bonne conduite, et au sens de la responsabilité et de l’initiative (article 8). Elle veille également « dans le cadre de sa fonction d’instruction, à garantir à tous les élèves un enseignement de qualité qui leur permette d’acquérir une culture générale et des savoirs théoriques et pratiques, de développer leurs dons et leur aptitude à apprendre par eux-mêmes, et de s’insérer ainsi dans la société du savoir (article 9). Et enfin l’école veille, dans le cadre de sa fonction de qualification, à développer des compétences et des savoir-faire chez les élèves, en rapport avec leur âge et selon le cycle d’études (article 10). En résumé, l’école doit faire progresser les acquis de nos enfants pour devenir des citoyens utiles à eux-mêmes et à leur pays et aptes à s’intégrer dans n’importe quelle autre société pour continuer leurs études et éventuellement y faire leur vie, s’ils le désirent. Et la question posée dans le titre de cet article me paraît absurde, je considère de ce fait que notre modèle d’éducation doit être plutôt reconstruit dans la cadre d’un modèle éducatif universel en s’inspirant des expériences et des réussites des systèmes éducatifs performants, parfois de leurs exigences tout en préservant notre identité et nos spécifiés en tant que société tunisienne. Et la vraie question qui devrait être posée est pourquoi notre école à échoué dans l’exécution de sa mission et de ses fonctions ?
En fait, si une réinvention est requise, ça serait dans la façon de gouvernance de notre système éducatif et de ses méthodes pour hisser notre école au niveau des exigences de développement actuel. Aujourd’hui nous vivons à l’heure des technologies et du numérique, des différentes formes d’intelligence, des énergies vertes, propres et renouvelables avec la naissance de plusieurs autres spécialités et la disparition d’autres. Mais, si les moyens semblent changer, le cursus scolaire reste toujours le même dans sa progression, notamment à sa base, et j’insiste sur l’importance d ela phase primaire pour doter nos apprenants des capacités nécessaires de lecture, d’écriture, de calcul, et du respect et dans sa finalité pour aider nos enfants à devenir les femmes et les hommes de demain, des citoyens et des citoyennes capables de vivre honorablement dans les quatre coins du monde si cela s’avèrerait nécessaire. On ne peut continuer à se comporter avec notre école avec l’état d’esprit actuel, qui traite la gestion des crises du quotidien comme principal critère de sa réussite. Un modèle de gouvernance vieux de plus de trente ans, assuré parfois par les mêmes responsables qui ont provoqué la ruine de notre école, alors qu’Albert Einstein nous disait que « la folie et de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».L’éducation est une affaire de société et de sécurité nationale même. Elle concerne plusieurs parties et plusieurs spécialités, et notre Président de la république a insisté sur le rôle que doit jouer le conseil supérieur de l’éducation et de l’enseignement dans ce domaine, il en a fait même une instance constitutionnelle depuis juillet 2022. Et nous sommes encore au stade des textes et des lois et de l’aménagement de son siège. Ce qu’il faudrait réellement réinventer c’est de chercher des solutions qui s’imposent pour sortir notre système éducatif de son impasse, notre sens du devoir et notre capacité à travailler ensemble et à proposer les bons remèdes pour remettre notre école sur la voie de la qualité et de l’excellence, l’avenir de nos enfants et de notre pays en dépend. Il nous faut en fait une vraie révolution des mentalités pour réfléchir sur la façon et les moyens pour rendre notre école la locomotive qui conduit nos enfants et notre pays vers un destin des plus radieux dans un monde qui mise de plus en plus sur l’intelligence, la compétence et le savoir-faire.