Par Jamel BENJEMIA
Il était une fois, aux temps de la magie et de la puissance, un marchand d’orages qui s’imaginait pouvoir enfermer la foudre dans une bouteille. Son nom : Donald Trump. Son art : dresser des murs tarifaires tandis que d’autres n’érigeaient que des mirages vétilles. Cet homme, à la crinière jaune, se rêvait maître de l’économie planétaire, persuadé qu’il suffisait de la gouverner comme on dirige une partie de golf, entre coups de «swings» incertains et cris de victoire prématurés.
Mais les rouages du monde refusaient d’obéir. Voulant punir l’Inde pour ses achats de pétrole russe, il l’accabla de droits de douane si lourds que, loin de s’effondrer, la prétendue victime se tourna vers un vieil adversaire : la Chine. Le dragon et l’éléphant qui, depuis des siècles, s’épiaient à travers les brumes himalayennes, furent contraints de marcher côte à côte, non par amour mais par nécessité, non par fraternité mais par lassitude devant le gourdin yankee.
Ainsi débuta l’histoire d’un président qui crut pouvoir dompter le monde comme un éclair captif, mais qui n’aboutit qu’à rapprocher deux bêtes mythiques : le dragon et l’éléphant.
Les murailles des chiffres
Trump regardait les chiffres comme on regarde des boulets de canon. Il croyait, ou feignait de croire, que de simples pourcentages pouvaient réduire en poussière des empires commerciaux. Cinquante pour cent de tarifs douaniers : ce n’était pas une politique, c’était un coup de massue. Pourtant, les nombres, sournois et railleurs, finissent souvent par se retourner contre ceux qui les brandissent avec trop d’assurance. À New Delhi, Modi, offensé tel un prince conspué devant sa propre cour, estima qu’il valait mieux tendre la main à un voisin honni que subir le mépris d’un compagnon présomptueux. Pékin, qui n’attendait que ce moment, déploya ses ailes avec la lassitude d’un dragon fatigué de combattre seul.
Ainsi, l’arithmétique brutale de Trump engendra, presque malgré elle, la géométrie vacillante d’une nouvelle alliance. Le dragon et l’éléphant, rivaux séculaires, se mirent à parler de commerce, de visas, de pèlerinages vers le Tibet, d’investissements. Et Trump, enfermé dans ses convictions, se félicitait en silence, sans voir qu’il venait d’offrir à la Chine le pinceau pour dessiner une fresque de puissance partagée. Les murs qu’il édifiait se muaient en passerelles en Asie. Le paradoxe est éclatant : celui qui voulait isoler la Chine lui offrait Modi sur un plateau royal. Dans l’arène du pouvoir, les rancœurs les plus anciennes s’effacent parfois plus vite, trop vite peut-être, que la crainte d’être tourné en dérision. Modi, pour paraphraser Giscard, semble avoir jeté sa rancune dans le Gange.
Le dragon dompte l’éléphant
Xi Jinping, stratège de la patience, scrutait Modi, avec un mélange d’attention et de calcul. L’Inde, fière et inflexible, se souvenait de ses morts au Ladakh, de ses humiliations sur le champ de bataille, des kilomètres de terre grignotés par les troupes chinoises en 1962, après l’annexion du Tibet en 1951. Pourtant, elle se tourna vers l’adversaire qu’elle connaissait mieux que le soi-disant ami, outrecuidant et vaniteux. Pékin se présenta en protecteur, murmurant stabilité, coopération et prospérité partagées, autant de formules nappées de miel qui, sous un vernis courtois, dissimulaient mal des griefs anciens.
Mais lorsque l’intérêt dicte la valse, que vaut encore la sincérité ? Acculé par les tarifs américains, l’éléphant se laissa guider par la paume brûlante, presque griffue, du dragon. À Washington, Trump, retranché dans son bureau ovale, pressentait que l’Inde plierait, mais il n’avait pas imaginé qu’elle le ferait au profit de Pékin. Dans ce jeu de «poker menteur», il ne faisait que redistribuer les cartes.
Ainsi l’Inde, meurtrie mais lucide, transforma sa blessure en levier. Elle s’adossa au géant rouge, non par choix, mais par nécessité. Et dans l’ombre, Pékin souriait : quoi de plus savoureux qu’un rival qui vient frapper lui-même à votre porte ? Le dragon avait dompté l’éléphant, discrètement, presque avec une douceur suspecte.
Les faux complices
Trump se grisait de symboles, comme d’autres s’enivrent de slogans. Recevoir le chef d’état-major pakistanais à peine la poussière de la confrontation indo-pakistanaise retombée, c’était lancer à Modi un message cinglant : «Vous n’êtes pas indispensable.» L’affront, manifeste et retentissant, fut intolérable pour le nationaliste hindou. En jouant avec l’orgueil comme avec une allumette, Trump heurta la fierté d’un camarade en devenir. Washington croyait encore tenir la main de l’Inde, mais New Delhi s’écartait déjà, presque imperceptiblement.
Le dragon, lui, sut saisir l’instant. Pékin endossa le rôle du consolateur, offrant à l’éléphant ce que l’Amérique refusait obstinément : une once de respect. Nul n’imaginait que les frontières disputées allaient s’effacer, ni que les appétits territoriaux s’apaiseraient. Mais plus les tambours américains résonnaient, plus l’éléphant tendait l’oreille au chuchotement du dragon.
Ainsi vont les alliances : précaires et dictées par l’opportunité. Encerclée de pays déjà conquis par Pékin, l’Inde comprit qu’elle ne pouvait rester prisonnière d’un frère d’armes capricieux. Les États-Unis, persuadés d’assembler un axe contre la Chine, virent au contraire leur échiquier s’écrouler. L’ironie, une fois encore, était tranchante : en cherchant à humilier Modi, Trump fit de lui l’invité d’honneur de Xi Jinping. Les connivences feintes s’évaporent toujours plus vite que les inimitiés véritables.
Le commerce des illusions
Le commerce servit d’alibi, comme un refrain discret jouant en sourdine derrière ce rapprochement improbable. L’Inde, meurtrie par les tarifs américains, cherchait en toute hâte des débouchés, des capitaux, des promesses d’avenir. Chaque année, dix millions de jeunes gonflaient les rangs des chercheurs d’emploi, autant de bouches à nourrir, autant de destins à arrimer à l’économie mondiale. La Chine, flairant l’aubaine, y vit une manne : un marché à saturer, un continent à modeler, une influence à étendre. Les déficits, pourtant criants, furent balayés comme poussière, effacés par l’enchantement d’une coopération proclamée sans fin.
Les deux capitales connaissaient pourtant la vérité nue : elles restaient rivales autant que partenaires. Mais l’histoire, capricieuse, aime ses singularités. Pour se libérer du joug américain, l’éléphant choisit de se livrer lui-même au dragon. Pékin et New Delhi invoquaient à l’unisson le bien-être de l’humanité, masque translucide derrière lequel Modi négociait âprement sa survie politique et Xi son triomphe planétaire.
À Washington, Trump, juché sur son piédestal, se croyait toujours le punisseur. Son obsession tarifaire, qu’il confondait avec une stratégie, se transforma en récit ironique, celui d’un joueur qui, croyant disperser ses adversaires, les contraignit malgré lui à s’unir. Dans ce marché d’illusions, le véritable perdant n’était pas celui qu’il désignait du doigt.
La danse forcée
Ainsi, le dragon et l’éléphant se mirent à danser, non par amour, mais par dépit partagé. La musique, orchestrée depuis Washington, résonnait comme une marche funèbre pour l’hégémonie vacillante. Trump, persuadé de mener le bal, n’avait en réalité déclenché qu’un spectacle imprévu. De ce pas de deux improbable naquit une nouvelle géographie : l’Asie redessinée au rythme des tarifs, tandis que l’Amérique, ivre de ses certitudes, applaudissait sans comprendre qu’elle signait elle-même la chorégraphie triomphale de ses rivaux.
L’homme de paix
Et que dire de ce président, sinon qu’il fut un homme de paix ? Oui, une paix paradoxale, hérissée de missiles et drapée de sarcasme. La preuve : il osa rebaptiser le Pentagone ministère de la Guerre, comme si la brutalité, une fois dite sans détour, se transformait en vertu. Dans cette logique renversée, pourquoi ne pas appeler bientôt le ministère du Commerce ministère du Bonheur extérieur, puisque ses tarifs, au lieu de séparer, soudent les mésalliances les plus improbables ? Quel plus grand présent offrir à la Chine et à l’Inde que ce terrain commun qu’elles n’avaient jamais rêvé de partager ?
Ainsi se referme la fable : le marchand d’orages, croyant tenir le monde en laisse, déclencha la tempête qui fit se rejoindre le dragon et l’éléphant.
Moralité : celui qui joue avec les frontières du monde finit par unir ceux qu’il voulait diviser. Alors, peut-être, l’histoire rira, découvrant dans ce colporteur d’éclairs, non un stratège visionnaire, mais le bateleur maladroit d’une tragédie crépusculaire.
