Le Président de la République n’a pas fait de détour lors de la réunion du Conseil des ministres du jeudi 18 septembre pour dresser un constat particulièrement dur de la situation du pays. Dans son discours, il a pointé l’existence de groupes organisés qui, selon lui, continuent d’influencer les institutions publiques, compromettant la qualité des services rendus aux citoyens. Ce réquisitoire s’inscrit dans une logique récurrente du Chef de l’État, qui dénonce depuis plusieurs années les blocages institutionnels et l’impact de pratiques opaques sur la vie quotidienne des Tunisiens.
L’un des sujets qui a suscité la colère du Président est la répétition des interruptions d’électricité pendant la saison estivale. Il a estimé que rien ne justifiait de telles coupures et a regretté l’absence de communication avec les usagers. Pour Kaïs Saïed, le problème ne réside pas uniquement dans des difficultés techniques, mais dans une gestion qu’il considère comme défaillante, marquée par des décisions unilatérales prises sans égard pour le citoyen.
La question de l’énergie est particulièrement sensible en Tunisie. Outre les besoins croissants liés à la consommation, la confiance des citoyens est ébranlée chaque fois que des coupures non annoncées surviennent, notamment lorsqu’elles touchent les ménages ou paralysent les activités économiques.
L’eau potable, autre secteur en crise
Le Président a également élargi son discours à la question de l’approvisionnement en eau. Il a évoqué un état de dégradation inquiétant des réseaux de distribution, soulignant qu’il arrive que certaines coupures soient le fruit de décisions volontaires. Pour lui, cela traduit un laisser-aller, voire une volonté de nuire, dans un domaine pourtant vital. Cette déclaration intervient alors que le pays traverse une crise hydrique durable, illustrée par la multiplication des alertes citoyennes recensées par des associations comme l’Observatoire tunisien de l’eau. Les Tunisiens, déjà confrontés à une raréfaction de la ressource, vivent mal ces perturbations qu’ils perçoivent comme une double injustice : naturelle, mais aussi institutionnelle.
Kaïs Saïed n’a pas épargné les structures déconcentrées de l’État. Il a dénoncé l’inaction de plusieurs directions locales qui, selon lui, brillent par leur absence sur le terrain. Cette critique renvoie à un vieux débat sur le rôle des administrations régionales, souvent accusées de manquer de réactivité face aux urgences et de ne pas remplir pleinement leur mission de proximité avec le citoyen. En Tunisie, la décentralisation reste un chantier inachevé. Si la Constitution avait consacré l’idée d’un pouvoir local renforcé, les retards dans son application et les résistances internes ont maintenu de nombreuses régions dans un état de dépendance vis-à-vis de la capitale.
Gaspillage de ressources
Le Président a par ailleurs dénoncé le manque d’efficacité de certains projets financés à grands frais mais qui n’ont pas apporté de bénéfices tangibles à la population. En pointant l’«immense gaspillage» de ressources, il met en lumière une problématique récurrente : des programmes qui absorbent des millions de dinars mais dont les retombées restent invisibles dans la vie quotidienne des citoyens. Cette critique rejoint les constats établis par plusieurs rapports de la Cour des comptes ou d’instances de contrôle, qui évoquent régulièrement des défaillances dans la gestion des fonds publics.
Au cœur de son intervention, Kaïs Saïed a décrit un affrontement permanent entre l’État et ce qu’il appelle une «ancienne machine» : un ensemble de réseaux, de lobbies et de groupes d’intérêts qui cherchent à maintenir leur influence au sein de l’administration et à manipuler le fonctionnement des institutions. Selon lui, ces acteurs ne défendent pas une vision ou un projet politique, mais uniquement des avantages matériels. Cette logique clientéliste, toujours selon ses propos, serait responsable de nombreuses crises fabriquées de toutes pièces et qui touchent des secteurs clés comme la santé, l’éducation ou les transports.
Les citoyens, premiers touchés
Derrière ce discours politique, c’est bien la vie quotidienne des Tunisiens qui est en jeu. Les coupures d’électricité, la mauvaise qualité de l’eau distribuée, les retards dans les services publics et l’inefficacité de certains projets sont autant de maux que les citoyens subissent de manière directe. Dans un contexte économique et social déjà tendu, chaque dysfonctionnement alimente un sentiment de méfiance vis-à-vis des institutions. L’argument du Président selon lequel l’État doit redevenir un outil au service du peuple cherche à répondre à ce malaise généralisé.
Un message politique clair
En mettant en avant ce discours au Conseil des ministres, Kaïs Saïed envoie un signal clair : il entend poursuivre son combat contre ce qu’il considère comme des réseaux qui parasitent l’État. Le message vise autant les responsables institutionnels que l’opinion publique, qui reste sensible à l’idée d’une lutte contre la corruption et le gaspillage. Reste à savoir comment cette volonté politique sera traduite en actes. Car les promesses de réforme, aussi nécessaires soient-elles, devront passer par des mesures concrètes : renforcement de la transparence, sanctions effectives contre les abus, et surtout restauration de la confiance entre les citoyens et leurs institutions.
L’intervention du Président rappelle que les difficultés de la Tunisie ne relèvent pas uniquement des contraintes économiques ou climatiques. Elles trouvent aussi leurs racines dans la manière dont les institutions fonctionnent et dans la capacité – ou l’incapacité – à répondre efficacement aux besoins des citoyens. En dénonçant ces réseaux qui, selon lui, paralysent le pays, Kaïs Saïed affirme son intention de poursuivre une lutte de longue haleine. Mais au-delà du discours, l’opinion publique attend désormais des résultats visibles : moins de coupures, des services plus fiables et une meilleure utilisation des ressources publiques.
C’est à ce prix que l’État pourra réellement redevenir, selon les mots du Président, un instrument au service du peuple, et non un espace capturé par des intérêts particuliers.
Leila SELMI
