L’Organisation tunisienne pour l’orientation du consommateur (OTOC) a alerté récemment, sur la situation critique des caisses sociales qui se trouvent dans l’incapacité de couvrir les frais médicaux des assurés dans des délais raisonnables. De ce fait, des milliers de familles doivent parfois attendre jusqu’à cinq mois pour recevoir les sommes qui leur sont dues. Cette attente, selon l’OTOC, aggrave la pression financière et contraint certaines personnes à reporter leurs traitements ou à s’endetter, ce qui érode davantage leur pouvoir d’achat. D’où le cri d’alarme de ladite organisation, qui appelle à trouver une solution afin de parer à la situation.
La situation des deux principales caisses de sécurité sociale en Tunisie ne cesse de se dégrader. Le déficit de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNRPS) et de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) devrait atteindre, selon des sources proches du ministère des Affaires sociales, les 2,5 milliards de dinars à la fin de l’année en cours. Les causes sont en partie dues au vieillissement accéléré de la population. Mais il y a également le faible taux d’emploi formel et la stagnation des cotisations sociales qui y sont pour une grande part dans ce déficit. D’autant plus que les réformes envisagées depuis 2018, dont le relèvement de l’âge de départ à la retraite et l’élargissement de l’assiette de cotisation ont été repoussées, voire abandonnées pour l’instant à cause du contexte social explosif. Les pistes de réformes, pourtant identifiées depuis 2018, tardent à être mises en œuvre.
Nécessité de réformes structurelles crédibles
Qu’il s’agisse du relèvement progressif de l’âge de départ à la retraite ou de l’élargissement de l’assiette des cotisations à de nouvelles catégories professionnelles, ces mesures ont été repoussées, voire gelées, en raison d’un climat social jugé trop tendu pour absorber de nouvelles contraintes.
Cette inertie a pesé lourdement sur les discussions que mène la Tunisie avec le Fonds monétaire international (FMI). L’institution internationale considère en effet la pérennité du système de sécurité sociale comme l’un des piliers incontournables du futur programme d’ajustement. Sans réformes structurelles crédibles, le risque est grand de voir les caisses sociales atteindre un point de non-retour, incapable d’assurer durablement le paiement des pensions et des prestations sociales.
A ce propos, le député à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et membre de la Commission des finances, Maher Ketari, lors de son intervention lundi dernier sur les ondes d’une radio de la place, a évoqué la situation des caisses sociales qu’il a qualifiée de critique, en insistant sur l’urgence de leur sauvetage. «Je crains qu’elles n’arrivent à un stade où elles ne pourront plus payer les pensions des retraités, c’est le cas surtout de la CNSS», a-t-il averti. Selon lui, les solutions conjoncturelles, telles qu’une contribution exceptionnelle pour soutenir les caisses, ne constituent en rien une réponse durable. Elles ne font que repousser l’échéance sans traiter les causes structurelles du déséquilibre.
Intégration du secteur informel
Quelles solutions efficaces préconiser pour sauver la situation financière des caisses sociales ? Le député a rappelé que le véritable levier réside dans l’élargissement de l’assiette de cotisation. Aujourd’hui, le secteur informel représente entre 30% et 40% de l’économie nationale, échappant totalement aux mécanismes de protection sociale. «Si les acteurs du secteur parallèle commencent à cotiser, les caisses sociales retrouveront leur équilibre», a-t-il estimé. Une intégration qui impliquerait non seulement un apport financier considérable pour la CNSS et la CNRPS, mais également une plus grande équité entre travailleurs, mettant fin à une situation où une minorité supporte le poids des contributions pendant qu’une large frange de l’économie reste en dehors du système. Il a par ailleurs souligné que cette réforme nécessite une volonté politique ferme et des mécanismes incitatifs clairs pour amener les acteurs du secteur informel à se formaliser. Cela pourrait passer par des régimes simplifiés de cotisation, des avantages fiscaux temporaires ou encore un accès facilité aux services sociaux et bancaires en contrepartie de l’intégration. La solution réside donc dans l’intégration du secteur informel, qui représente entre 30% et 40% de l’économie nationale. En effet et comme l’a souligné le député, si les acteurs du secteur parallèle commencent à cotiser, les caisses sociales retrouveront leur équilibre.
Simplifier les régimes de cotisation
Certes, le secteur parallèle regroupe des activités très diversifiées telles que les petits commerces, les artisans, l’agriculture, les services non déclarés, mais aussi une partie du commerce transfrontalier. Ces acteurs échappent aux impôts et aux cotisations sociales, ce qui prive l’État et les caisses sociales de ressources considérables. Les obstacles à leur intégration résident dans la complexité administrative, les démarches pour s’enregistrer étant lourdes et dissuasives. Il y a également la méfiance envers l’État, beaucoup d’acteurs du secteur informel craignant une fiscalité trop lourde sans contrepartie. Sans parler du fait que certains opérateurs informels n’ont pas la capacité financière de supporter les mêmes charges que les entreprises formelles.
C’est pour cela qu’il est nécessaire de lever les obstacles, simplifier et adapter les régimes de cotisation, en créant des régimes sociaux allégés pour les petits commerçants et indépendants. Il est important aussi de mettre en place une progressivité, sachant que plus l’activité croît, plus la contribution augmente. Par ailleurs, il est nécessaire d’offrir des incitations concrètes en accordant par exemple un accès facilité aux soins, à la retraite et aux allocations familiales pour les travailleurs qui se déclarent, de donner des avantages fiscaux temporaires pour encourager la transition, de proposer des microcrédits ou subventions conditionnés à l’enregistrement légal de l’activité et de contribuer à l’intégration du secteur parallèle. Sans oublier de développer des plateformes numériques simples pour l’inscription, la déclaration et le paiement des cotisations. Pour cela, utiliser le paiement mobile pour capter les flux financiers informels, surtout dans les zones rurales, serait parmi les moyens efficaces.
Renforcer les contrôles
Parallèlement, il est utile de renforcer les contrôles et la gouvernance. Ce qui permet de mieux lutter contre la fraude organisée et le commerce parallèle transfrontalier qui déstabilisent les circuits formels.
En somme, l’intégration du secteur parallèle apparaît comme la condition incontournable pour redonner souffle aux caisses sociales et rétablir l’équité entre les travailleurs. Mais elle ne pourra réussir qu’à travers une stratégie combinant incitations, simplification et contrôle. Plus qu’un simple enjeu économique, c’est une véritable bataille pour la justice sociale prônée par le Chef de l’Etat. Car, sans élargissement de l’assiette contributive, la Tunisie risque non seulement l’asphyxie de son système de retraite, mais aussi la fracture d’un contrat social déjà fragilisé.
Ahmed NEMLAGHI
