«D’habitude, nous enregistrons 120 à 140 nouvelles infections au VIH/Sida par an. Cette année, les indicateurs laissent croire que le nombre des nouveaux cas dépassera 500 cas et pourrait même atteindre 600 cas», s’est alarmé jeudi l’administratrice de l’Association tunisienne de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le Sida (ATL MST Sida), Sonia Torkhani.
La militante associative, qui s’exprimait en marge d’une campagne de dépistage du cancer du sein et du cancer du col de l’utérus organisée dans la ville de Zriba (gouvernorat de Zaghouan) à l’occasion de «l’Octobre rose», a estimé que ces chiffres qui s’emballent constituent un signal d’alerte qui nécessite une intensification des campagnes de prévention et de sensibilisation.
Malgré une prévalence d’infection totale relativement faible, inférieure à 0,1% au sein de la population générale, les experts évoquent désormais une reprise épidémique depuis quelques années. Selon le directeur du programme national de lutte contre le Sida au ministère de la Santé Samir Mokrani, le nombre des personnes vivant avec le VIH en Tunisie a été estimé à environ 8 mille cas en 2023, dont plusieurs ne savent pas qu’ils sont porteurs du virus. Les dernières données du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) font, quant à elles, état de 7100 personnes vivant avec le VIH en 2022, contre 4 700 en 2010.
Les statistiques disponibles montrent d’autre part que la moyenne d’âge des pvvih (personnes vivant avec le VIH/sida) est de 30 ans, avec des profils sociaux qui connaissent de profonds changements. La contamination par le virus ne concerne plus les émigrés de retour au pays, les travailleuses de sexe et autres, et les usagers de drogues, notamment celles injectables, seulement. De plus en plus de jeunes, issus d’un milieu favorisé et ayant un bon niveau intellectuel, sont aujourd’hui atteints du VIH, ce qui souligne une transmission locale «très active».
L’Exécutif a pourtant adopté en 2021 un programme national de lutte contre le Sida, dont l’objectif est de réduire le nombre des nouvelles infections de 50% et de réduire les décès des personnes porteuses du virus par des maladies opportunistes de 70% à l’horizon 2026, grâce à trois leviers d’action : renforcer l’accompagnement psychosocial des personnes vivant avec le VIH, adapter la prévention et les traitements aux besoins spécifiques et intégrer les droits humains dans chaque étape de la lutte.
La stigmatisation et la faiblesse de la prise en charge médicale aggravent la situation
Les résultats de ce programme ont été jusqu’ici très mitigés, car la recrudescence de l’épidémie du VIH reste occultée par les tabous et loi de l’omerta qui freinent les efforts de prévention, de dépistage et de traitement nécessaires pour maîtriser la propagation du virus. Les risques de transmission des maladies sexuellement transmissibles, dont le VIH/sida, ne figurent dans aucun programme scolaire. Les parents et les enseignants se réfugient, quant à eux, dans la «culture du déni», et du «cela n’arrive qu’aux autres».
Alors que le sida a un lien direct avec la sexualité, la stigmatisation contribue à aggraver la situation. Une étude publiée en 2018 par ONUSIDA montre que plus de la moitié des Tunisiens refuseraient d’acheter des légumes à une personne séropositive et 47% déclarent que les enfants vivant avec le VIH ne devraient pas fréquenter les mêmes écoles que les autres.
D’autre part, l’accès au traitement demeure un grand défi. 26% seulement des personnes vivant avec le VIH sont au courant de leur statut sérologique, et 25% (2036 personnes) bénéficient d’un traitement antirétroviral gratuit, en raison notamment de difficultés liées au dépistage et au suivi. Or, ce traitement permet non seulement aux personnes séropositives de vivre plus longtemps et en bonne santé, mais aussi d’éviter la transmission du virus à d’autres personnes en rendant la charge virale indétectable. Le système de santé compte quatre centres de prise en charge du Sida uniquement situés à Tunis, Sousse, Sfax et Monastir, et souffre de capacités de dépistage limitées et de ruptures de stocks récurrentes.
Par ailleurs, les actions de la société civile semblent avoir perdu de leur importance, faute de moyens financiers et de médiatisation, surtout que les associations spécialisées ont beaucoup de mal à accéder aux établissements scolaires et aux universités alors que la hausse de la pénétration d’Internet augmente les comportements nocifs à travers la diffusion à large échelle de contenus pornographiques.
Walid KHEFIFI
