Voici un nouveau livre de l’écrivain philosophe Fethi Jouou : il s’agit d’un roman autobiographique intitulé « La dernière minute ». C’est la première fois que l’auteur écrit dans le genre romanesque après avoir publié auparavant plusieurs essais philosophiques dont essentiellement « le corps, à l’origine » et « Crise du sens » en 2014 et d’autres critiques littéraires comme « Passions de Narcisse » et « Révoltes de Prométhée ».
Le nouveau roman relate deux événements importants qui ont marqué la vie de l’auteur, à savoir la perte de sa femme suite à une longue maladie incurable et les années des études supérieures qu’il a passées en Syrie, loin du pays natal, de la famille et des amis. Nous avons entre les mains un récit poignant, plein d’émotions intenses et parfois bouleversantes, rédigé par l’auteur, à la fois personnage et narrateur, qui se remémore les années de souffrances de sa campagne « Amel » et des sacrifices qu’il a consentis durant dix ans. Mais aussi, les souvenirs de son séjour en Syrie pendant quatre ans, afin d’obtenir son diplôme de philosophie, une période pleine de tribulations et de contrariétés.
Ces deux volets du roman sont certes différents, mais ils sont complémentaires, dans la mesure où ils constituent le thème central du roman, à savoir l’endurance et la résilience du narrateur aux moments les plus difficiles, que ce soit lors des années d’études dans un pays étranger, loin de la famille et des amis, soit pendant les dix ans de la maladie de sa femme à qui il a su apporter, avec beaucoup d’amour et de patience et sans jamais se lasser, tous les soins nécessaires pour affronter la foudroyante maladie.
Face à la maladie, l’amour est le plus fort
Dix années de la vie du narrateur ont défilé en rendez-vous médicaux, en nuits blanches, et en maints sacrifices. Dix années où il a tenu la main de sa femme, en voyant cette maladie incurable s’épargner d’elle et la détruire petit à petit, cette femme qui, malgré la méchante maladie, a pu tenir bon jusqu’à la fin de ses jours. Et aujourd’hui, maintenant qu’elle n’est plus là, c’est comme si le temps s’était arrêté. Il se retrouve seul dans sa maison, leur maison, où tous les coins lui rappellent les beaux souvenirs de son épouse perdue à jamais. Il se souvient de son courage depuis le moment où elle a appris la mauvaise nouvelle et de son abnégation à résister contre la maladie en refusant de s’effondrer. Au fil des années, il était témoin de son corps qui faiblit et qui change, de ses douleurs affreuses, mais aussi de ses sourires forcés et de sa patience exemplaire. Si la souffrance de la malade augmentait, c’est aussi la sienne qui grandissait sans jamais la manifester directement pour ne pas l’inquiéter davantage.

Il a fait des sacrifices, bien sûr. Durant dix ans, il a dû renoncer à tout pour s’occuper d’elle à plein temps, surtout dans les derniers stades de la maladie. Mais pour lui, ce n’était pas un sacrifice, c’était un choix. Le choix de l’accompagner jusqu’au bout, le choix d’être là pour elle à chaque instant et jusqu’à la « dernière minute » Pour lui, peu importait le prix, tant qu’il pouvait adoucir un peu sa peine. Chaque geste qu’il a fait à son égard, chaque nuit qu’il a passée à la surveiller, chaque larme qu’il a essuyée en cachette, était un acte d’amour et de dévouement pour l’être qu’il aime. En témoignent ces lignes écrites en page 19 : « Nous avons vécu ensemble la cruauté de cette maladie féroce pendant dix ans… Et je n’ai pas tort lorsque je déclare que ce furent les années les plus merveilleuses de notre vie de couple, car nous croyions tous les deux que la vie n’a pas de plaisir, ni de joie ni de bonheur non plus sauf que lorsqu’elle est remplie de cohésion, de compréhension, d’amour mutuel et de sacrifice spontané… »
Aujourd’hui, il ne lui reste que les souvenirs. Le souvenir de leurs rires, de leurs joies, de leurs projets, de leur amour. Le souvenir de ces dix années de combat acharné contre l’inévitable. Mais plus que tout, il se souvient de la force qu’elle a eue, et de l’amour qu’elle lui a donné jusqu’à son dernier souffle. Amel, « Amoula », comme l’appelle le narrateur, n’es plus là, mais elle ne l’a jamais vraiment quitté.
Des souvenirs qui reviennent à la mémoire
Le deuxième volet du roman nous renvoie aux années d’études supérieures passées par le narrateur à Damas. C’est au moment où la malade était en train de rendre l’âme que le narrateur se plonge dans les années passées, ses rêves de jeunesse, sa réussite au baccalauréat, la visite de sa mère Khadija, hospitalisée à la « Rabta », sa décision de poursuivre des études en philosophie en Syrie. Aussi peut-on lire en page 24 ce court extrait : « Dans le silence de la nuit et au moment où « Amoula » s’approchait du moment fatal, ma mémoire me ramena à l’époque où j’avais atteint l’étape de ma jeunesse, plus précisément l’année du baccalauréat… Et les images du passé traversèrent mon imagination, rivalisant pour apparaître, comme si elles ressentaient mon angoisse et elles me présentèrent des tranches de ma vie antérieure pour atténuer les nuits tristes et me détacher de la dureté du présent en insufflant dans mon âme la nostalgie du passé… »
Il évoque le jour de son départ pour ce pays, son arrivée dans ce pays qu’il méconnaissait et les mésaventures qu’il a vécues durant son séjour dans ce pays. C’est ainsi que le jeune étudiant, débarqua pour la première fois dans un pays étranger, connut tous les défis qu’il a pu relever grâce à sa persévérance.
A côté des études, il a dû travailler pour subvenir à ses besoins (habitation, nourriture, transport…) Il fut, tour à tour, serveur dans un restaurant populaire, employé dans une boulangerie pendant la nuit, apprenti-pâtissier et enfin opérateur téléphoniste dans un hôtel. Dans ses souvenirs de Damas, il fait l’éloge de ses éminents professeurs, de renommée mondiale, qu’il a eu la chance de connaitre, dont Taieb Tizini et Sadok Jalal El Adhem. Une véritable bataille pour obtenir enfin le diplôme de philosophie et rentrer enfin au pays natal.
« La dernière minute » est un roman écrit avec beaucoup de passion et de fidélité. C est une expérience vécue d’où émane toute la vérité d’un homme ayant mené deux combats acharnés dans sa vie : le combat contre la maladie de sa femme et celui pour l’obtention du diplôme de philosophie dans un pays étranger, loin des parents, des amis et de la patrie.
Bref, l’emploi du pronom « je » est prédominant dans le roman, pour créer une impression d’intimité et d’authenticité. Le narrateur adopte un style intrinsèquement subjectif, influencé par ses émotions, ses sensations et ses réflexions. Le lecteur se trouve dès les premières lignés attaché aux événements réels de cette histoire authentique, si bien qu’il pourrait le lire d’un seul trait.
Hechmi KHALLADI
