La Tunisie occupe le 12e rang mondial en matière de consommation d’antibiotiques, selon une étude publiée récemment par la revue scientifique Our World in Data en collaboration avec One Health Trust, un cabinet de recherche spécialisé dans la lutte contre les maladies infectieuses et la résistance aux médicaments.
Les Tunisiens consomment en moyenne 28 doses quotidiennes pour 1000 habitants, soit une quantité beaucoup plus élevée que la moyenne mondiale de 18 doses quotidiennes pour 1000 habitants, a-t-on précisé de même source.
Dans le monde arabe, les Tunisiens ne sont ainsi devancés que par les Égyptiens (50 doses quotidiennes pour 1000 habitants).
A l’échelle africaine, la Tunisie occupe la quatrième position, derrière l’Afrique du Sud (51 doses), l’Egypte (50 doses) et la Tanzanie (35).
L’étude révèle également que plus de 30% des prescriptions d’antibiotiques en ambulatoire en Tunisie «ne sont pas justifiées sur le plan médical», rappelant l’absence dans le pays d’une forte charge de morbidité induite par une forte prévalence des maladies infectieuses telles que le paludisme et la tuberculose.
Elle fait également remarquer que la forte consommation d’antibiotiques relève, dans ces conditions, d’une prescription excessive et d’une utilisation abusive, notant que cette dernière est plus fréquente dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, où l’accès aux soins de santé est limité et où la faible application des règles de vente permet aux pharmacies et même à des vendeurs informels de distribuer librement ce genre de médicaments.
Plusieurs facteurs contribuent à l’usage excessif ou inapproprié des antibiotiques en Tunisie. Il s’agit notamment de la prescription sans contrôle. Dans ce cadre, on note un recours fréquent aux antibiotiques pour des infections virales ou sans confirmation de l’infection bactérienne.
Les autres facteurs sont l’automédication, avec de nombreux patients ou parents utilisant des antibiotiques sur la base d’anciennes prescriptions (vieilles ordonnances), du conseil d’un pharmacien ou sans ordonnance, et la faible sensibilisation sur les méfaits de l’usage systématique des antibiotiques. Le grand public et parfois les prescripteurs manquent de sensibilisation à la rationalité des antibiothérapies, ce qui pousse à des prescriptions «au cas par cas» sans protocole strict. A cela s’ajoutent l’insuffisance de l’application de la réglementation sur la délivrance des antibiotiques et l’usage croissant de cette catégorie de médicaments dans l’élevage et l’agriculture.
Hausse de la résistance bactérienne
Ces données corroborent les conclusions d’une précédente étude réalisée dans un centre pédiatrique tunisien, qui a montré que 60% des parents ont donné des antibiotiques sans ordonnance à leurs enfants, souvent pour des symptômes grippaux ou angineux, et que beaucoup de ces antibiotiques provenaient d’anciennes prescriptions pour des maladies différentes ou ont été recommandés par des pharmaciens d’officine.
La surconsommation d’antibiotiques n’est pas sans conséquences. Elle entraîne des risques pour les patients, le système de santé et la société en général.
Au niveau individuel, le traitement se révèle inefficace, si une infection est due à une bactérie résistante. Dans ce cas, l’antibiotique standard peut ne plus fonctionner, ce qui allonge la durée de la maladie, augmente le risque de complications, voire de décès. Le fait d’utiliser un antibiotique quand il n’est pas nécessaire expose également le patient aux risques d’effets indésirables et de perte de l’efficacité future.
La consommation excessive et injustifiée d’antibiotiques favorise d’autre part la hausse de la résistance bactérienne, rendant les infections futures plus difficiles à traiter, car les bactéries mutent et développent des mécanismes de défense. Or, les infections résistantes nécessitent des traitements plus coûteux, plus longs, parfois une hospitalisation plus longue ou des soins intensifs, augmentant les coûts de soins pour la collectivité.
L’utilisation inappropriée des antibiotiques favorise par ailleurs le développement de «super-bactéries» qui peuvent entraîner des millions de décès chaque année. Les données disponibles montrent d’ailleurs que onze hôpitaux tunisiens ont fait état d’une augmentation de la résistance de bactéries des infections sanguines entre 2011 et 2023. Ce n’est pas d’ailleurs un hasard de calendrier que le ministère de la Santé a averti, dans un communiqué publié dimanche dernier, que les antibiotiques ne constituent pas un remède miracle à toutes les maladies, notant que l’utilisation anarchique de ces médicaments réduit considérablement leur efficacité et les rend inutiles lorsqu’ils sont réellement nécessaires.
Le ministère a également rappelé que les antibiotiques ne traitent que les infections d’origine bactérienne et ne sont pas efficaces pour les maladies virales comme le rhume ou la grippe saisonnière, tout en appelant les Tunisiens à ne pas forcer les médecins à leur prescrire des antibiotiques quand ces professionnels de santé jugent que ces médicaments ne sont pas utiles, et de respecter scrupuleusement la posologie et la durée du traitement recommandées.
Walid KHEFIFI
