En traversant dimanche dernier la Cité Olympique de Radès, j’ai constaté sur un terrain vague une foule de gens autour de deux béliers qui se battaient. «Tiens, dis-je, il y a encore chez nous des combats de béliers ; la béliomachie existe bel et bien chez nous !» J’ai vite garé mon auto tout près pour assister au combat. Quelle horreur ! Quelle violence ! Et dire qu’à chaque coup de cornes, les présents, grands et petits, se mettaient à applaudir. Et qu’elle était grande la joie du propriétaire du bélier vainqueur et celle des supporters !
Certains appellent cette pratique un loisir ou un sport, pour d’autres, c’est une passion ou un héritage du passé, étant habituellement pratiqué par nos ancêtres.
Il est vrai qu’à un certain temps, on trouve dans presque tous les quartiers populaires des béliers destinés au combat. On en trouvait dans chaque quartier populaire de la capitale, dans les banlieues ou même à l’intérieur du pays, des propriétaires de béliers de combats. Ces grands passionnés de la béliomachie se disputaient le championnat local, régional ou national qu’ils organisaient périodiquement en opposant des béliers de combat sur les terrains vagues en dehors de la ville ou sur les places publiques où s’entassaient des centaines de fans pour assister à ce grand spectacle et applaudir le bélier vainqueur. Or, voilà que ce rite s’est éclipsé ou, du moins, se fait de plus en plus rare ces dernières années. Serait-il de retour ? A-t-il encore ses passionnés ? L’organisation de tels combats se fait-elle secrètement ou est-elle autorisée par les autorités ?
Une tradition qui a ses adeptes…
C’était dans les années soixante et soixante-dix que ces rencontres arrangées entre béliers étaient fréquentes et passaient pour un jeu populaire où les spectateurs s’enthousiasmaient autant que les propriétaires des béliers et se marraient vraiment malgré la brutalité du spectacle.
Par le passé, dans les années 60 et 70, une fédération de béliomachie a même été créée en vue d’encadrer les propriétaires de béliers et organiser les combats entre différents clubs que cette fédération aurait constitués, sachant que cette pratique est une tradition qui remonte aux Berbères, les premiers habitants de la Tunisie, et que certains estimaient qu’il faudrait la conserver. Voilà que depuis longtemps, cette fédération a disparu et le nombre des propriétaires de ce genre de bélier s’est peu à peu diminué. Mais pour les amateurs, cette pratique est longtemps considérée comme un spectacle aussi bien sportif que culturel. N’empêche qu’aujourd’hui encore, les nostalgiques continuent à élever ces animaux de combat en organisant de temps en temps des parties de béliomachie, notamment dans les quartiers populaires. En Tunisie, cette pratique a été longtemps considérée comme un spectacle aussi bien sportif que culturel et structurée sous forme de clubs de béliomachie.
La forteresse d’El Karaka de la Goulette, rappelons-nous, a servi d’arène à de multiples combats dans les années 80. Les partisans de la béliomachie évoquent toujours ces combats de béliers qui sont restés mémorables dans leurs esprits et vous citent dans les moindres détails les matches remportés par le bélier «X» à telle date et à tel lieu et vous indiquent la durée du combat et le nombre de coups de cornes donnés par les deux concurrents. Même si aujourd’hui, la béliomachie n’est pas régie par une association ou une organisation, elle connaît encore un succès dans les quartiers populaires et il semble que la passion pour les béliers de combat se transmet de père en fils. On voit de plus en plus de jeunes s’intéresser à l’élevage de béliers destinés au combat. Les matches qui se déroulent occasionnellement dans certains quartiers ne sont pas malheureusement pris en charge par une autorité quelconque et leur organisation reste l’apanage des seuls propriétaires des béliers, quand bien même ces rencontres devraient être encadrées par les autorités compétentes pour garantir la sécurité et le bon déroulement du spectacle. En d’autres termes, avant d’organiser un match, il faudrait que les autorités soient au courant, comme s’il s’agissait d’un match de football en vue de prévenir les incidents qui pourraient survenir entre les supporters.
D’autre part, il faut voir avec quelle passion, quel dévouement, le propriétaire élevait son bélier : il le gâtait plus que ses propres enfants. En moyenne, il faut un budget mensuel de 200 dinars par mois destiné au bélier (nourriture et soins), à part les frais de déplacement, au cas où le combat se déroulerait dans une autre ville. Quant au prix d’un bélier de combat, il peut atteindre les 10 mille dinars, selon la race de l’animal et les performances et les victoires qu’il aura réalisées auparavant.
… Et ses détracteurs
Pour les amateurs de béliomachie, cette pratique n’est pas nouvelle dans notre société, et quoiqu’étant dénoncée par certains détracteurs qui appelaient depuis longtemps à son abolition au nom de la protection des animaux, elle est toujours bien ancrée dans notre histoire. Les partisans de la béliomachie justifient leur point de vue par le fait que les peuples du monde entier ont toujours eu recours aux animaux pour organiser leurs jeux populaires : en Tunisie, nous avons également le combat de dromadaires ; en Algérie et au Pays basque, il y a aussi le combat des béliers. De même, le combat des chiens est surtout connu en Afghanistan ; le combat des vaches est très populaire en Haute-Savoie ; aux Philippines, on pratique le combat des chevaux ; aux Caraïbes, le combat des coqs est un jeu traditionnel.
Ces fans fervents de la béliomachie insistent sur le côté spectaculaire du phénomène, dans la mesure où ces férus s’amusent tout en se défoulant comme s’ils regardaient un match de football au stade ; cela crée de l’ambiance et de l’enthousiasme parmi le public et puis, il y a un enjeu, un défi à relever. Par contre, les détracteurs soutiennent que dans ce genre de combat, il y a l’expression de la violence, la consécration de l’esprit de vengeance et surtout, le manque de respect envers l’espèce animale, ce qui constitue de mauvais enseignements pour les gamins qui viennent assister à ce genre de combats. Et puis, n’est-il pas ridicule de se délecter de combats organisés entre animaux ? Malgré toutes ces critiques, les amateurs de béliomachie trouvent que le combat de béliers demeure beaucoup moins violent et moins barbare que celui des chiens qui s’entretuent parfois jusqu’à la mort.
Bref, on ne saurait empêcher les gens de vaquer à leurs loisirs. Cependant, c’est un secteur qu’il faut réorganiser. Sans l’intervention des autorités, il n’y a que le chaos qui règne dans cette activité qui passe pourtant pour un patrimoine culturel de notre pays dont on doit être fier et qu’il faut conserver.
Hechmi KHALLADI