Par Mondher AFi
Le 15 décembre, au Palais de Carthage, le Président de la République Kaïs Saïed a présidé une réunion de travail avec la Cheffe du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zenzri, et le ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, Ezzeddine Ben Cheikh, consacrée à un secteur dont l’importance dépasse de loin les cycles agricoles et les aléas climatiques.
Si cette rencontre intervient dans le contexte d’une récolte oléicole exceptionnelle, elle s’inscrit surtout dans une volonté politique affirmée de rupture avec des décennies de gestion fragmentée et sans vision d’ensemble.
À travers ce rendez-vous, le Président Kaïs Saïed pose un diagnostic clair : la crise de l’agriculture tunisienne n’est ni conjoncturelle ni accidentelle, mais structurelle, et elle touche au cœur même de la souveraineté nationale. La filière de l’huile d’olive, pilier historique de l’économie rurale et principal produit agricole d’exportation, devient ici le révélateur d’un choix stratégique fondamental : soit poursuivre un modèle qui fragilise les producteurs, accroît la dépendance extérieure et érode la capacité de décision nationale, soit engager une refondation politique de la question agricole, fondée sur la sécurité alimentaire, la justice économique et la responsabilité de l’État dans la protection de ses ressources vitales.
L’agriculture tunisienne : un potentiel stratégique sous-exploité
Le secteur agricole tunisien occupe historiquement une place centrale dans le tissu économique et social national. Il mobilise près de 65% du territoire, assure environ 16% de l’emploi, contribue à plus de 8% du produit intérieur brut et couvre une part substantielle des besoins alimentaires du pays. Ces indicateurs traduisent un potentiel stratégique indéniable. Pourtant, cette importance quantitative contraste fortement avec une contribution réelle au développement économique et social qui demeure largement inférieure aux capacités objectives du secteur. La baisse continue de la part de l’agriculture dans le PIB depuis les années 1990, l’aggravation persistante du déficit alimentaire et la dépendance croissante aux importations ne relèvent pas de facteurs conjoncturels isolés, mais révèlent les limites structurelles d’un modèle fondé sur des politiques publiques fragmentées, faiblement coordonnées et essentiellement réactives. C’est précisément à ce niveau que s’inscrit la vision du Président Kaïs Saïed, qui considère que la question agricole ne peut être traitée comme un secteur parmi d’autres, mais comme un levier stratégique engageant directement la souveraineté nationale.
Dans cette perspective, la filière de l’huile d’olive occupe une place singulière. Produit emblématique de la Tunisie, à la fois par son poids économique et par sa portée symbolique, elle positionne le pays parmi les principaux producteurs mondiaux et s’appuie sur un patrimoine oléicole exceptionnel. Toutefois, cette position demeure fragile en raison de faiblesses structurelles persistantes : productivité limitée, forte volatilité des rendements, prédominance des exportations en vrac et faible captation locale de la valeur ajoutée. La vision présidentielle rompt ici clairement avec une approche purement quantitative ou strictement mercantile de la production. En mettant l’accent sur la fixation d’un prix de référence garantissant les droits des producteurs, sur le renforcement des capacités nationales de stockage et sur l’ouverture de nouveaux débouchés commerciaux, le Président Kaïs Saïed adopte une logique de régulation économique rationnelle, visant à corriger les asymétries du marché, à protéger les producteurs contre la spéculation et à réduire la vulnérabilité de la filière face aux fluctuations internationales.
Cette orientation s’inscrit pleinement dans une lecture scientifique du développement agricole, telle que formulée notamment par les analyses de la FAO, qui soulignent que la durabilité de la filière oléicole repose sur la sécurisation des revenus des agriculteurs, la modernisation des pratiques culturales et la structuration intégrée de la chaîne de valeur, de la production à la transformation. En ce sens, la vision du Président Kaïs Saïed ne procède ni d’un réflexe idéologique ni d’un discours conjoncturel, mais d’une approche systémique et pragmatique qui place l’agriculture, en particulier l’huile d’olive, au cœur d’un projet de souveraineté alimentaire, de stabilité économique et de préservation des capacités décisionnelles de l’État.
Les petits agriculteurs : colonne vertébrale du secteur
L’attention particulière accordée par le Président Kaïs Saïed aux petits agriculteurs s’inscrit dans une démarche fondée sur l’analyse objective des structures productives de l’agriculture tunisienne et non dans une posture compassionnelle ou un discours social de circonstance. Le tissu agricole national est majoritairement constitué de petites exploitations, représentant plus de 80% de l’ensemble des unités de production, souvent caractérisées par une faible capitalisation, un niveau de mécanisation limité et une forte exposition aux aléas climatiques et économiques. Cette configuration structurelle rend ces exploitations particulièrement vulnérables à la volatilité des coûts de production et aux déséquilibres des marchés, tout en limitant leur capacité d’investissement et d’adaptation technologique.
Depuis plusieurs années, l’augmentation continue des prix des intrants agricoles, des carburants et de la main-d’œuvre a profondément altéré l’équilibre économique de ces exploitations. À cette pression sur les coûts s’ajoute un accès restreint au financement, marqué par des conditions de crédit peu adaptées à la nature du cycle agricole, ce qui a conduit à un endettement croissant et à une érosion progressive de la rentabilité. Ce phénomène ne se traduit pas seulement par une fragilisation individuelle des agriculteurs, mais par un risque systémique pour l’ensemble du secteur, susceptible d’entraîner l’abandon des terres, la contraction de l’offre agricole et, à terme, une dépendance accrue aux importations alimentaires.
C’est dans ce cadre que s’inscrit la vision du Président Kaïs Saïed, qui propose une réponse structurelle fondée sur des instruments économiques rationnels et éprouvés. L’appel à la mise en place de lignes de financement adaptées aux réalités du secteur vise à corriger une asymétrie persistante entre les besoins spécifiques des petits agriculteurs et les mécanismes financiers existants. De même, la facilitation de l’accès aux intrants et le renforcement de l’encadrement technique répondent à une logique d’optimisation de la productivité et de réduction des coûts, plutôt qu’à une logique de subvention aveugle.
En réaffirmant le rôle de l’État comme garant de l’équité économique et de la régulation des marchés, le Président Kaïs Saïed adopte une position qui relève d’une rationalité économique assumée. L’intervention publique n’est ici ni substitutive à l’initiative privée ni motivée par une recherche de consensus populaire immédiat, mais conçue comme un levier de correction des défaillances structurelles du marché et de sécurisation des conditions de production. Cette approche, éloignée des discours populistes simplificateurs, repose sur l’idée que la pérennité du secteur agricole et la sécurité alimentaire nationale exigent des politiques publiques ciblées, fondées sur des données objectives et inscrites dans le temps long. Elle traduit une conception de l’action politique où la protection des petits agriculteurs ne constitue pas une fin en soi, mais un moyen rationnel de préserver la capacité productive du pays et de renforcer son autonomie économique.
L’État stratège face aux défis de la régulation agricole
Le diagnostic posé par le Président Kaïs Saïed sur l’état des institutions agricoles publiques, en particulier sur le déclin de structures historiques telles que l’Office National de l’Huile, repose sur des constats empiriques difficilement contestables. La contraction continue des capacités de stockage, passées de niveaux permettant autrefois une régulation effective du marché à des volumes aujourd’hui largement insuffisants, illustre une défaillance institutionnelle profonde, d’autant plus problématique qu’elle intervient dans un contexte d’augmentation des volumes produits. Cette inadéquation entre capacités institutionnelles et réalités productives révèle l’épuisement d’un modèle de gouvernance agricole qui a progressivement réduit le rôle de l’État à une fonction administrative, au détriment de sa mission stratégique de régulation.
La vision du Président Kaïs Saïed s’inscrit en rupture avec cette trajectoire. Elle ne préconise ni le désengagement de l’État ni sa substitution au marché, mais une réhabilitation fonctionnelle des institutions publiques, appelées à redevenir des instruments de stabilisation, de prévisibilité et d’équité. En restaurant la capacité des organismes publics à intervenir sur les marchés, à sécuriser le stockage et à accompagner les producteurs, cette approche s’aligne sur les standards internationaux en matière de gouvernance agricole, où l’État joue un rôle d’arbitre et de garant face aux asymétries structurelles du marché. Cette orientation vise à réduire l’exposition des producteurs aux chocs externes, à limiter les comportements spéculatifs.
Souveraineté alimentaire et refondation du modèle agricole
L’affirmation du Président Kaïs Saïed selon laquelle la sécurité alimentaire constitue un enjeu de sécurité nationale relève d’une lecture scientifique largement partagée dans les analyses contemporaines du développement. L’incapacité structurelle à couvrir les besoins alimentaires expose les États à des vulnérabilités multiples, qu’elles soient économiques, sociales ou géopolitiques, et renforce mécaniquement leur dépendance à l’endettement extérieur. La vision présidentielle se distingue ici par son refus de considérer l’endettement comme une solution durable aux déficits alimentaires, lui opposant une stratégie fondée sur le développement endogène, l’exploitation rationnelle des ressources nationales et la valorisation des productions locales.
Cette approche s’inscrit dans une lecture systémique des dysfonctionnements accumulés du secteur agricole tunisien. L’analphabétisme agricole, le vieillissement des exploitants, la faiblesse de la mécanisation, l’insuffisance des infrastructures d’irrigation, la désorganisation des circuits de commercialisation et l’extension des marchés parallèles ne sont pas abordés comme des problèmes isolés, mais comme les manifestations interdépendantes d’un modèle arrivé à ses limites. Face à cette réalité, le projet porté par le Président Kaïs Saïed esquisse les contours d’une véritable refondation agricole, fondée sur la science, la planification stratégique et la justice économique.
Cette refondation ambitionne de replacer l’agriculture au centre du projet national, non plus comme un secteur marginal, exposé passivement aux fluctuations des marchés mondiaux, mais comme un levier structurant de stabilité économique, de cohésion sociale et d’autonomie décisionnelle. Elle repose sur l’idée que la souveraineté nationale ne peut être dissociée de la capacité d’un État à maîtriser sa production alimentaire et à sécuriser durablement les conditions matérielles de l’existence collective. Le défi majeur consiste désormais à traduire cette vision stratégique en politiques publiques cohérentes et opérationnelles, capables d’articuler réforme institutionnelle, appui technique, modernisation des pratiques et mobilisation coordonnée de l’ensemble des acteurs. À cette condition seulement, l’agriculture tunisienne pourra rompre avec une logique de dépendance et de vulnérabilité structurelles, pour s’affirmer comme un pilier effectif du développement durable, de la dignité sociale et de la souveraineté nationale.
