Lundi dernier (3 janvier 2022), quelques manifestants se trouvaient sur le perron du Théâtre municipal de Tunis pour commémorer les émeutes du pain de 1984 et exiger la réhabilitation des personnes tombées à travers le pays sous les tirs de l’armée et de la police. D’après les chiffres officiels de l’époque, il n’y en avait que 70, alors que d’autres sources en dénombraient plus de 160. Cette triste date de l’histoire récente de la Tunisie ne s’oublie pas et ne devrait pas l’être. Au même titre que l’autre jeudi noir de 1978, et que les tous événements mémorables qui ont dramatiquement marqué les six dernières décennies.
Chaque Tunisien est rattaché à toutes ces dates par le devoir de mémoire : c’est comme une obligation morale et patriotique de la même valeur symbolique que l’honneur dû aux martyrs de l’indépendance. Sauf que, ce 3 janvier 2022, coïncide avec le début d’une année qui s’annonce très difficile pour le peuple tunisien. Ce « peuple qui veut » mais qui, de fait, n’a jamais voulu en arriver là, c’est-à-dire à vivre ou plutôt à subir pareille crise économique et sociale paralysante et démoralisante.
Lundi dernier (3 janvier 2022), il n’y avait pas beaucoup de monde devant le Théâtre municipal de Tunis. A peine 50 ou 60 manifestants. Pas même un manifestant pour chaque émeutier mort le 3 janvier 1984. L’Avenue Bourguiba était pourtant bondée de passants qui, hélas, vaquaient à d’autres « affaires ». Quelques uns seulement prenaient la peine de lire les écriteaux brandis par les manifestants. Peut-être pour se demander ou essayer de se rappeler ce qui s’était passé ce 3 janvier 1984 ! Car ce jour-là, c’est loin maintenant ! Très loin, pour eux !
Ou alors ils préfèrent ne pas s’en souvenir. Les senteurs et les arômes du réveillon parfument encore l’air ambiant. Pourquoi gâcher ces lendemains de fête qui risquent de nous manquer un de ces matins de vaches maigres, de disette et d’épidémie. On voudrait tant oublier les douleurs, celles du passé et celles du présent. Mais il y aura toujours quelqu’un ou quelques-uns pour nous les rappeler ! Dans un mois, il nous faudra en effet réveiller la mémoire de Chokri Belaïd. A son enterrement, rappelez-vous, il y avait près d’un million de Tunisiens au cimetière d’El Jallaz et dans ses environs. Combien seront-ils, le 6 février prochain, à se rappeler le lâche assassinat dont il a été victime? Moins d’un million de Tunisiens peut-être ! Il faut pourtant s’en souvenir ! Même si l’an 2022 est déjà trop lourd des douleurs de 2021 !
Badreddine BEN HENDA