Des organisations de la société civile, des associations, des partis politiques, des personnalités publiques, des internautes et des citoyens lambda réagissent depuis, hier dimanche 7 février, à la décision du Président de la République concernant la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui, décidément, ne laisse personne indifférent. Entre ceux qui approuvent entièrement, ceux qui émettent des réserves et ceux qui rejettent tout en bloc, les réactions se multiplient, depuis hier.
L’Association des magistrats tunisiens (AMT) a indiqué, dans un communiqué rendu public, dimanche soir, son refus catégorique de toutes les tentatives du président de la République portant atteinte au pouvoir judiciaire et au Conseil supérieur de la magistrature(CSM).
« L’annonce faite par le président de la République renie les fondements du système démocratique; à savoir indépendance constitutionnelle, légale structurelle et professionnelle de la justice et constitue une grave régression des acquis constitutionnels et reflète une volonté de soumettre le pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif, dans le cadre d’un système qui centralise tous les pouvoirs aux mains du président de la République », lit-on dans le communiqué.
Selon la même source, la reddition des comptes doit se faire « dans le cadre d’un processus juridique loin de toute logique d’anarchie et de violence ». L’association a annoncé, à cette occasion, qu’elle s’adressera prochainement à tous les magistrats pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de préserver l’indépendance de la justice et de ses institutions.
Certains partis expriment leur « consternation »
Côté partis, le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (ETTAKATOL), le parti républicain (Al Joumhouri) et le Courant démocrate (Attayar ) ont publié un communiqué conjoint, le 6 février, pour exprimer leur refus de la décision du Président de la République, Kais Said , de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
Ils ont appelé tous les magistrats, partis démocrates et organisations civiles, « à faire face à cette tentative flagrante de soumettre la justice à l’autorité du coup d’Etat ».
Ils ont, également, souligné » l’absence de tout mécanisme constitutionnel ou légal donnant l’autorité au Président de la République de dissoudre le CSM ».
Dans le même contexte, les trois partis ont exprimé leur « consternation » à l’égard du discours tendu du président de la République et les appels adressés à ses partisans contre les Institutions de l’Etat, estimant que ses pratiques rappellent celles « des ligues dites de protection de la révolution » .
L’indépendance du pouvoir judiciaire constitue une condition essentielle pour garantir la justice, la démocratie et à même de rassurer les investisseurs et renforcer les efforts pour financer le budget de l’Etat, d’après le communiqué.
ATJM : « Le président de la République n’est pas habilité à prononcer la dissolution »
Pour sa part, l’Association Tunisienne des Jeunes Magistrats (ATJM) a considéré que le président de la République Kais Saied n’est pas habilité à prononcer la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
L’ATJM a estimé que le président Saied n’est pas en mesure de pouvoir dissoudre le CSM, dès lors qu’il » ne détient, à ce titre, aucun moyen juridique, autorité ou légitimité « .
l’association a, également, appelé le Conseil supérieur de la magistrature à poursuivre ses activités et à convoquer une assemblée générale regroupant magistrats et structures y relevant pour unifier les positions.
Le CSM met en garde contre » toute instrumentalisation de la justice »
Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a dit rejeter la décision de sa dissolution, « en l’absence de tout mécanisme constitutionnel et légal, mettant en garde contre toute atteinte à l’indépendance de la justice.
Le Conseil a appelé l’ensemble des magistrats à s’attacher à leur conseil en tant qu’unique garant de leur indépendance.
Le CSM a mis en garde, à cet égard, contre toute instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
« Le mouvement du 25 juillet » monte au créneau
Sur l’autre versant, le « mouvement du 25 juillet » avait appelé les organisations, les associations et les « forces vives » à manifester le 6 février 2022 devant le siège du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour réclamer sa dissolution.
Lors d’un point de presse tenu, samedi, au siège de ce mouvement, à Tunis, le coordinateur général du mouvement, Nizar Tazni a qualifié le CSM » d’ une entrave à la justice « , notamment lorsqu’il est question du dossier des assassinats politiques.
Il a même appelé le conseil à s’autodissoudre en raison du fonctionnement « défectueux et défaillant » de la justice et de son incapacité à trancher dans des dossiers « sensibles » tels que l’assassinat de Chokri Belaïd, Mohamed Brahmi et de Lotfi Naguedh et des martyrs des institutions militaire et sécuritaire.
Rappelons que le 5 février 2022, le Président Kaïs Saïed,avait annoncé, dans une heure très tardive samedi soir, au siège du ministère de l’Intérieur, à Tunis, où il s’était réuni avec le ministre de l’Intérieur et plusieurs hauts cadres du département, la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature.
« Le Conseil supérieur de la magistrature peut, dès cet instant, se considérer comme appartenant au passé », a-t-il déclaré, affirmant qu’un décret sera pris incessamment.
Le chef de l’Etat, Kais Saied avait promulgué le 19 janvier 2022, un décret-loi modifiant la loi organique n° 34 de 2016 relative au conseil supérieur de la magistrature. Ce décret-loi met fin aux avantages et aux privilèges accordés aux membres du conseil.
Le Bâtonnier, pour
Il ne faut tout de même pas oublier d’autres corps de métiers reliés au système judiciaire tout entier. Brahim Bouderbala, Bâtonnier des avocats, n’a jamais caché son adhésion au projet présidentiel d’en finir avec le CSM. Le Bâtonnier est même allé plus loin, déclarant que tout le système judiciaire doit être revu et corrigé.
Entre temps, cette matinée, les membres du CSM n’ont pu accéder au siège, fermé depuis samedi soir par les autorités sécuritaires. Qu’en sera-t-il, cependant, des employés qui n’appartiennent pas au CSM?
Pour l’heure, c’est un flot impressionnant de controverses, tant dans les médias tunisiens et étrangers (Al Jazira en fait un « plateau copieux) que sur les réseaux sociaux. Pour sa part, Youssef Bouzakher, président du CSM a déclaré que cette décision est « anticonstitutionnelle » et que « le Conseil continuera à travailler », sachant que son mandat vient à terme octobre prochain.
Ghada