Il y a quelques semaines, une délégation américaine se rendait à Carthage, porteuse d’une « gentille » lettre de Joe Biden pour Kais Saied. En l’occurrence, l’opinion publique tunisienne cria-t-elle à « l’immiscion dans nos affaires internes ». Biden appelait en effet Saied à rétablir les institutions (réouverture du Parlement, cela s’entend) et à mettre en place un gouvernement. Said l’a lue, mais sans la renvoyer à l’expéditeur, il a quand même expliqué à ses interlocuteurs qu’il ferait de son mieux.
Cette visite intervenait juste après le coup de fil de Macron, dont n’a pas parlé la page officielle de la Présidence, mais dont il nous a fallu aller sur le site de l’Elysée pour en connaitre la teneur. Le langage, à Paris comme à Washington est le même : rétablir la démocratie et les institutions. Dans les deux cas, le ton est plutôt à l’injonction. Et chacun y va de ses mécanismes à lui. L’Amérique, par la voix même de son ambassadeur en Tunisie, brandit l’argument-massue du FMI. Par ailleurs, très « soucieuse » des équilibres régionaux-dont Tunis est devenue comme par miracle l’épicentre- l’Amérique ne veut pas voir notre pays se désengager du « Printemps arabe », ce Printemps devenu très vite brumeux avec la fulgurante ascension des islamistes. Du côté de l’Elysée, Macron, lui, « dicte » des commandements, comme il le fait avec beaucoup d’affection pour le Liban. Quelque part, cependant, Macron et Biden ne sont pas vraiment d’accord sur les approches. Le souci majeur des Américains est strictement politique. Pour les Français, il s’agit plutôt de technicité. Il reste que les trajectoires géostratégiques des uns et des autres ne sont pas vraiment les mêmes.
Tunis devient donc un enjeu. Sinon, une plaque-tournante à un expansionnisme qui ne dit pas son nom.
Voilà, maintenant, qu’après avoir réinstallé les talibans à Kaboul, Washington veut réinstaller Ennahdha dans les sphères de la gouvernance en Tunisie. L’inflexible sénateur démocrate Chris Murphy, celui-là même qui s’est déclaré « déçu » de ce que Saied ait prorogé l’état d’exception, ira voir le Président, vraisemblablement pour rééditer les mêmes injonctions. Parce qu’à Washington, le lobbying islamiste est autrement plus percutant qu’à Paris. N’oublions d’ailleurs pas la complainte adressée par Ghannouchi à Biden : « vous nous avez installé au pouvoir en 2011, faites que nous y revenions ». C’est on ne peut plus clair. Et Chris Murphy-comme tous les autres démocrates de son acabit, ceux-là mêmes qui ont créé Daech- ne va pas y aller avec le dos de la cuillère.
Il a même annoncé que cette visite à Tunis s’inscrit dans le cadre d’une tournée dans le Proche-Orient et qui le mènera au Liban, en Israël, en Cisjordanie, en Grèce (est-ce le Moyen-Orient ?) …et en Tunisie (est-ce encore le Moyen-Orient ?).
Comment réagirait Saied ? Si, à la limite, les plans français peuvent être décryptés, ceux de l’Amérique sont sinueux et cyniques…Surtout que Saied n’ y a pas bonne presse : il reste inflexible sur la question palestinienne.
Raouf Khalsi