L’islam n’est pas la seule religion a préconisé le jeûne. Nombre de religions, qu’elles soient monothéistes ou polythéistes, préconisent cette action de se priver volontairement de nourriture et/ou de boissons.
Chez nous, le Ramadan, mois symbolisant le jeûne, semble avoir, depuis un certain temps, perdu sa notion cultuelle pour devenir un événement culturel, voire traditionnel.
Point pour nous le désir de mettre à l’index les non-jeûneurs ou de faire un cours de religion, mais de faire une constatation : le Ramadan chez nous est devenu culturel, dans le sens de traditionnel, perdant peu à peu sa notion cultuelle. Bon nombre de Tunisiens jeûnent plus par tradition que par conviction.
Mais d’abord, voyons, en vulgarisation, ce qui est du jeûne à travers les religions qu’elles soient monothéistes ou polythéistes ; un jeûne très différent.
isUn acte commun, mais différent
Dans le judaïsme, le jeûne est désigné par le mot «ta’anit» (aussi orthographié «taanit»), «période de privation de nourriture et de boissons, à titre volontaire, privé ou public, dans un but de repentir, de deuil, ou d’abstinence». D’après les théologiens, les jeûnes dans le judaïsme sont divisés en quatre catégories : le jeûne de la Torah, qui a lieu le jour du grand Pardon (Yom Kippour), les jeûnes liés à la destruction de Jérusalem et à l’exil, les jeûnes liés à d’autres événements historiques, et les jeûnes privés. Le jeûne suivi par tous les Juifs (tous les hommes de plus de 13 ans et toutes femmes de plus de 12 ans, si leur santé le permet) est celui du Yom Kippour (cette année du 4 au 5 octobre), qui consiste en l’abstinence de nourriture, de boisson, de relations sexuelles pendant 25 heures, avec des interdits comme porter des chaussures de cuir, utiliser des cosmétiques ou des lotions et de laver n’importe quelle partie de leur corps (sauf les yeux et les mains).
Dans la chrétienté, il existe le Carême, une période de jeûne et de pénitence de quarante jours avant Pâques (fête commémorant la résurrection du Christ) ; les quarante jours faisant référence au nombre de journées que «Jésus-Christ a passé dans le désert à lutter contre Satan» mais, également, mais «les quarante jours et quarante nuits du jeûne de Moïse avant la remise des Tables de la Loi». Cette année, les quarante jours de carême ont commencé le 2 mars pour se terminer le 14 avril. Le principe du carême est de se nourrir d’un seul repas par jour sans viande, ni œuf, ni laitage, ni vin, sans grignotage, et de jeûner (obligatoire pour les 18/60 ans, exception pour les personnes malades et les femmes enceintes) le mercredi et le vendredi. Les chrétiens sont invités, durant cette période, à renoncer à quelque chose de matériel, comme Internet, la télévision, le téléphone, etc.
Que ce soit en islam, dans le judaïsme, ou la chrétienté, le jeûne est lié à des moments de prières, de lecture des livres saints, etc.
Un problème d’assumation
Dans les religions polythéistes, le jeûne n’est pas une obligation, même s’il est présent. Ainsi dans l’hindouisme, le choix des jours et la manière de jeûner restent libre ; cela peut aller d’un extrême renoncement à une légère privation. Dans le bouddhisme, et même si les différents Bouddhas jeûnaient, il n’y a pas de période de jeûne, mais plutôt un non-attachement à la nourriture et une modération.
Chez nous, de nombreuses personnes ont laissé la pratique cultuelle du jeûne pour en faire une pratique culturelle. Elles ne jeûnent pas parce que cela est un pilier de l’islam, mais elles jeûnent (ou font semblant de jeûner) par «habitude». Elles jeûnent parce qu’il faut jeûner, et par-là même elles ont un problème d’assumation. Elles n’assument pas que, pour elles, la religion et le jeûne n’ont aucun sens. Donc, elles vont suivre la masse : jeûner pour faire comme tout le monde, se précipiter dans les magasins pour emmagasiner les aliments de première nécessité ou non -comme si le Ramadan était une période de famine et non d’abstinence, gaspiller, etc. Finalement, elles n’ont rien compris à la pratique du jeûne, qui est aussi bien physique que morale et spirituelle. Il n’y a qu’à voir le comportement de certains individus pour comprendre que jeûner est juste culturel et non cultuel.
Il est vrai qu’aucun individu n’a le droit d’intervenir dans la nature de la relation d’un autre individu avec la religion. Cependant, si cette relation nuit à autrui, c’est autre chose.
Un manque de respect
Puis, il y a ceux qui assument de ne pas jeûner. Et là est un autre problème. Au sortir de la «Révolution» de 2011, des étendards ont été levés haut pour le droit de ne pas jeûner. Pendant les années qui ont suivi, et paradoxalement, les jeûneurs ont été montrés du doigt, comme des personnes ayant des pratiques archaïques et dépassés. Les cafés qui été ouverts ne couvraient plus leurs vitrines avec du papier journal, les non-jeûneurs narguaient les jeûneurs en mangeant devant eux, etc. Il y a eu une grande confusion entre «liberté» et «respect».
Faut-il rappeler que la Tunisie n’est pas un pays laïc, et même s’il en était un la notion de respect aurait été mise en avant. Ne dit-on pas «La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres» (citation que certains attribuent au philosophe genevois francophone Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et d’autre au philosophe britannique John Stuart Mill (1806-1873) ?
Nous avons vécu dans des pays laïcs (France, Sénégal, Bénin) où les différentes communautés religieuses se respectaient, et même respecter la liberté des athées si ces derniers ne touchaient pas à leurs religions.
En Tunisie, que cela soit clair, il n’y a pas de laïcité, soit le «principe de séparation de la société civile et de la société religieuse», et notre pays ne sera jamais un Etat laïc.
Des articles clairs et nets
En effet, que ce soit dans la constitution de 1956 ou celle de 2014, la Tunisie est un pays islamique (attention à ne pas confondre avec islamiste). L’article premier du chapitre premier (Dispositions générales) de la constitution de 1956 déclare «La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain ; sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la république», et dans celui de 2014 : «La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime», ajoutant que «le présent article ne peut faire l’objet de révision» ; donc, si cet article ne peut faire l’objet de révision la Tunisie sera toujours un pays islamique…
Toujours dans les dispositions générales, l’article 5 de la constitution de 1956 dit : «La République tunisienne garantit l’inviolabilité de la personne humaine et la liberté de conscience, et protège le libre exercice des cultes, sous réserve qu’il ne trouble pas l’ordre public», et l’article 6 de celle de 2014 : «L’État protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes. Il assure la neutralité des mosquées et des lieux de culte à l’égard de l’exploitation partisane. L’État s’engage à diffuser les valeurs de modération et de tolérance et à protéger le sacré et empêcher qu’on y porte atteinte. Il s’engage également à prohiber et empêcher les accusations d’apostasie, ainsi que l’incitation à la haine et à la violence et à les juguler».
Ces articles parlent bien de «cultes» et de «liberté de croyance», or l’athéisme ne peut être considérée comme une croyance puisqu’il est «l’absence ou le refus de toute croyance en quelque divinité que ce soit»…
Zouhour HARBAOUI