La question de l’ouverture ou non des cafés et restaurants durant le Ramadan réapparaît chaque année en Tunisie. Devant l’imbroglio juridique, les commerçants et non-jeûneurs essaient de faire entendre leur voix. Parce que, justement, si imbroglio juridique il y a, c’est que « la répression » contre les non-jeûneurs n’est régie que par une circulaire désuète et vielle de quarante ans.
En n’y prêtant pas attention, on pourrait croire que ce café du centre-ville de Tunis est fermé. Sauf que derrière la porte en verre teintée de pages de journaux, de nombreux non-jeûneurs se retrouvent en ce début d’après-midi d’avril. Ils sont une douzaine, entassés dans une petite salle de moins de 25m2. La pièce est enfumée par les cigarettes qui s’enchaînent les unes après les autres. Derrière le bar, Reihan* prépare cafés et petits sandwichs d’appoint. « Généralement, on dispose quelques tables dehors pour qu’il y ait plus d’espace à l’intérieur. Durant le ramadan, on préfère ne pas se faire remarquer », confie-t-il. Ce Franco-tunisien, rentré au pays il y a deux ans, a décidé de ne pas fermer son établissement durant ce mois saint : « Il y avait une nécessité à rester ouvert car on a perdu énormément d’argent avec la pandémie ».
Aucune loi, mais des passe-droits
En Tunisie, aucune loi n’interdit les restaurants et autres cafés d’ouvrir en période de Ramadan. Pourtant, les adeptes de la fermeture évoquent la circulaire dite « M’zali » de 1981, du nom de l’ancien Premier ministre, qui stipule la fermeture des lieux de restauration pendant la journée. « Depuis plusieurs décennies, on souffre d’une circulaire qui a pourtant été abrogée trois jours après sa parution » s’insurge Abdelkarim Benabdallah, fondateur du groupe Facebook Fater, sorte de guide où sont répertoriées les adresses ouvertes durant le mois sacré. Il avoisine aujourd’hui les 18 000 membres. Le quadragénaire mentionne également un deux poids, deux mesures : « Les lieux situés en zones touristiques bénéficient de beaucoup plus de liberté ».
Le ministère de l’Intérieur, autorité de tutelle sur la question, n’a jamais réellement tranché, entretenant le flou juridique. Cela décourage certains restaurateurs qui préfèrent fermer boutique pour « éviter les problèmes » assure le fondateur du groupe Facebook.
Selon Sarah*, propriétaire d’un restaurant japonais dans un quartier résidentiel, le manque de clarté en termes de réglementation laisse place « aux interprétations personnelles. Cette ambiguïté sert de prétexte à la police pour dicter sa loi » évoquant « des arrangements financiers » avec les commerçants afin que ceux-ci restent ouverts.
Pour Abdelkarim, les moyens de pression ne font qu’accentuer le goût de la provocation chez les non-jeûneurs : « Les cafés ne sont jamais aussi pleins qu’en période de Ramadan. Plus c’est interdit, plus ça marche en Tunisie ! ».
Un moyen d’inclusive
Nawfel, analyste en informatique, a participé à plusieurs manifestations pour dénoncer la fermeture des cafés et restaurants, en 2018 et 2019. Cet athée justifie sa contribution au mouvement par la possibilité « d’être libre de faire ce que l’on veut ». Également modérateur au sein du groupe Fater, il estime que celles-ci ont eu des retombées positives. « Depuis deux ans, il y a beaucoup moins de réclamations de la part des cafés ». Selon lui, l’ouverture de ces derniers est un moyen d’inclusive : « Il n’y a pas que des musulmans en Tunisie. Puis certains d’entre eux ne peuvent pas jeûner pour des raisons de santé, à cause de leur âge… ». Même son de cloche chez Sarah, qui a décidé d’accueillir du public lors des deux derniers Ramadans. « Je pense que le socle de la démocratie, c’est le respect des minorités ».
Pour rappel, l’article 6 de la Constitution garantit les libertés individuelles, comme la liberté de conscience ou de croyance.
Théodore LAURENT