Par Raouf KHALSI
L’Histoire a, elle-aussi, ses caprices. Ses moments épiques et ces moments sont voulus par les hommes, par ceux qui infléchissent le cours des évènements. 1957 : C’est comme aujourd’hui. C’était l’éveil de la République qui sommeillait dans notre histoire trois fois millénaire, depuis Carthage.
La Tunisie avait, en effet, enfanté l’une des plus anciennes républiques au monde. La République de Carthage a même failli anéantir la république romaine. Les guerres puniques, c’est la République qui les a menées… Jusqu’à ce que les invasions ne sonnent l’asservissement d’un peuple né pour être libre, né pour prendre son destin en mains… Jusqu’à l’indépendance, avant qu’une Assemblée constituante formée de grands militants ne proclamât, le 25 juillet 1957, la fin de la monarchie et l’avènement de la République… Un certain Habib Bourguiba en fut l’architecte. Premier président de la Tunisie république, il achevait son œuvre avec la constitution de 1959.
Constitution : le point focal de ces derniers mois. Le débat passionné autour d’un texte qu’on a maltraité par la constitution de 2014, toute clientéliste, toute taillée comme un costard pour les besoins d’une oligarchie ayant fait souffler le chaud et, surtout, le froid sur le pays.
Aujourd’hui, Bourguiba ne se reconnaîtrait pas dans « sa République ». Et quand bien même il aurait gouverné en dictateur éclairé et en monarque présidentiel, il aura légué des fondements solides à celui qui l’a déposé : Ben Ali.
Or, c’est au nom du démantèlement de la dictature de Ben Ali, que la révolution des 14 Janvier a pris le pli revanchard de l’asservissement de la République et, donc, de l’Etat, avec une démocratie trompeuse, toute bâtie sur les intérêts occultes et actionnée par des castes.
De quelle République pouvions-nous parler quand on nous faisait miroiter le Spectre du 6ème Califat ; quelle République (sinon bananière) quand elle devient un mièvre satellite du nouvel empire ottoman ? Pouvons-nous, au fait, prétendre être Républicains, en régime de la République, quand les soubassements de l’Etat se meuvent dans le eaux troubles de l’Islam politique ?
La République reste quand-même notre roman des origines. Et, en plus on a essayé de l’engloutir, plus précisément… le 25 Juillet
Le premier ébranlement de nos certitudes républiques se produisait, comme par un sinistre anti-symbolisme, le jour de l’assassinat de Mohamed Brahmi… Un 25 Juillet.
Comme pour se venger de notre cupidité, Béji Caïd Essebsi « choisissait » le 25 juillet pour tirer sa révérence, partant dans des conditions obscures, alors que c’est lui qui avait redonné ses lustres à la République, avant d’être trahi. Il y avait, en effet, autour de lui, au crépuscule de sa vie, beaucoup de Brutus. Et ils l’ont poignardé comme d’une seule main, en même temps. A son départ, son regard était sévère. Le regard de la malédiction…
Son successeur, sorti du néant, mystérieux, ténébreux pensait lui aussi République. Mais, un parlement qui fait honte à la démocratie n’en finissait pas de souiller la République. Il commençait à perdre patience. Il devenait parfois menaçant. Il parlait de missiles.
Et c’est, justement, un 25 juillet (2021) qu’il larguait son premier missile. Fermeture de l’ARP, de cette cour des miracles et limogeage du gouvernement Méchichi. Saïed parlait Etat. Mais à travers l’Etat, il parlait République. La constitution est suspendue ; la République, affaiblie, donnait l’impression d’être encore intubée. Il gouverna donc à coups de décrets. Personnifiant même le pouvoir. Mais, pour restituer toute sa quintessence à la République, pour la remettre débout, ils concoctait d’abord « sa constitution », avant d’appeler au référendum… le 25 juillet. La symbolique mord de nouveau.
Le 25 juillet : c’est l’Histoire, c’est les sales coups de l’Histoire, mais c’est aussi l’Histoire d’un éternel recommencement. Et fait rarissime, ce n’est pas l’Histoire qui a fait le 25 juillet.
Mais c’est le 25 juillet qui fait que l’Histoire survivre aux aléas du temps, à la voracité des ennemis de la République.
Un 25 juillet écrit par le sang mais aussi en lettres d’or.