Malgré « l’optimisme » affiché sur les négociations de délimitation des frontières maritimes entre le Liban et Israël, le climat reste tendu. Le Liban et l’entité sioniste, toujours en état de guerre, mènent des négociations inédites par l’intermédiaire de Washington pour régler leur différend frontalier et lever les obstacles à la prospection d’hydrocarbures. Il faut que « le pétrole, le gaz et l’eau du Liban restent en possession du Liban, et que personne ne soit autorisé à piller ses richesses », a affirmé Hassan Nasrallah. « La main qui touchera à nos richesses sera coupée », a-t-il martelé.
Alors qu’il peine encore à panser les plaies de la gigantesque explosion au port de Beyrouth, survenue il y a exactement deux ans, le Liban, en proie à une crise économique sans précédent, fait face à une nouvelle crise : le Hezbollah chiite, allié de l’Iran, menace de déclencher une guerre contre Israël en cas d’absence d’accord avec l’entité sioniste pour délimiter leur frontière maritime et lever les obstacles à la prospection d’hydrocarbures, afin que le Liban puisse exploiter ses ressources gazières en même temps qu’Israël.
Une menace qui a poussé les Etats-Unis à renvoyer le 31 juillet leur médiateur dans la région pour tenter de désamorcer la crise. Responsable des affaires énergétiques internationales au département d’Etat américain, Amos Hochstein a déclaré, après avoir rencontré les principaux dirigeants libanais, rester « optimiste » quant à la possibilité de parvenir à un accord entre les deux pays dans les prochaines semaines.
Le Hezbollah montre le poing
Entretemps, l’Iran et le Hezbollah continuent d’envoyer les messages d’avertissement. « Le Hezbollah n’hésiterait pas à lancer entre 10000 et 20000 missiles contre l’Etat israélien, à la moindre erreur, au cours d’une campagne militaire ». C’est ce qu’a lancé le 6 août Hossein Salami, le leader des Gardiens de la Révolution, dans le cadre de solides menaces contre Tel-Aviv et Washington, tout en assurant que les « USA ne sont plus capables d’imposer une pression maximale » et que « la route est désormais bloquée dans la région ».
Même si ses propos ne concernent pas directement l’affaire des frontières, ils présentent une vraie menace pour Israël. Hassan Nasrallah, le secrétaire général du parti chiite, a réitéré que les cibles israéliennes, terrestres et maritimes, peuvent être touchées par les missiles du Hezbollah tout en faisant allusion à la gravité de la perte du temps. Dans un discours prononcé le 2 août, Nasrallah a commenté une nouvelle fois le dossier sensible de la délimitation de la frontière maritime, affirmant que « le temps presse », mais tout en soulignant que la position de l’Etat libanais et celle de son parti étaient unifiées.
Le jour de l’arrivée de l’émissaire américain, le Hezbollah a publié une vidéo intitulée « Dans le viseur », énumérant les noms de plateformes gazières et de plusieurs unités flottantes de production et d’extraction de gaz actives dans les eaux israéliennes, avec des coordonnées géographiques. Un message qui fait écho aux menaces explicites du chef du Hezbollah d’attaquer les infrastructures gazières israéliennes si Tel-Aviv commence ses opérations d’extraction dans le champ de Karish, situé à la lisière de la zone d’exclusivité économique du Liban.
Le Liban et l’entité sioniste ont lancé en octobre 2020 des négociations inédites par l’intermédiaire de Washington pour régler ce différend frontalier. Or, ces pourparlers ont été suspendus en mai 2021 à la suite de différends concernant la superficie de la zone contestée en Méditerranée. Initialement, les négociations ont porté sur une zone de 860 km2, conformément aux revendications libanaises enregistrées auprès de l’Onu en 2011.
Le Liban a dit vouloir réclamer un droit supplémentaire sur une zone de 1430 km2, qui comprend une partie du champ de Karish. Début juin, les tensions entre les deux pays avaient ressurgi avec l’arrivée à proximité de Karish d’un navire affrété pour le compte d’Israël par la société d’exploration britannique Energean. Le Liban avait alors fait appel au médiateur américain en présentant une nouvelle offre de démarcation de la frontière qui ne mentionne pas Karish.
Bluff et intimidation
Face à la menace de plus amples tensions, l’Europe a décidé d’envoyer des navires de guerre patrouiller à proximité de Karish, selon des médias israéliens. Des commentateurs expliquent qu’il s’agit pour l’Europe de défendre ses intérêts stratégiques, alors qu’un accord a été conclu le mois dernier entre l’Union européenne et Israël portant sur la fourniture de gaz pour une période de 30 ans, dans un contexte de pénurie énergétique liée à la guerre en Ukraine.
Le président français, Emmanuel Macron, qui révèle toujours son soutien au Liban, a averti, dans un entretien au quotidien libanais L’Orient-Le Jour le 4 août, que le Liban « ne survivrait pas à un nouveau conflit à la frontière sud » avec Israël, « qui serait bien plus meurtrier, bien plus destructeur que celui de 2006 », mettant en garde implicitement contre tout aventurisme face à Israël.
Or, selon des observateurs, l’escalade n’est dans l’intérêt d’aucune partie. Israël, avec ses problèmes internes et son offensive actuelle contre Gaza, ne veut sans doute pas d’un autre front. Au Liban, des pressions sont exercées sur le Hezbollah pour éviter l’escalade. Les Etats-Unis aussi, bien qu’empêtrés dans d’autres crises, veulent apaiser la situation. L’option d’une guerre reste éloignée, même s’il y aura des escarmouches et des missiles tirés sur la frontière, estiment les analystes. « Le Hezbollah parie sur le succès des négociations, il ne souhaite pas de confrontation militaire avec Israël, compte tenu de son coût élevé sur ses zones d’influence.
Le Hezbollah entend transformer tout accord sur les frontières maritimes avec Israël en une victoire pour lui, arguant que sa pression en est à l’origine », explique Tarek Fahmy, professeur de sciences politiques et expert des affaires israéliennes, tout en soulignant que le gouvernement israélien actuel n’est pas prêt à une confrontation avec le Hezbollah, surtout que, selon le renseignement militaire israélien, les missiles du Hezbollah sont capables de couvrir toute la profondeur israélienne. « Israël est bien conscient que le Hezbollah est en mesure de faire basculer la balance du jeu, d’autant plus que ses drones sont devenus un élément actif et l’une des armes les plus importantes dans toute perspective militaire à venir », conclut Fahmy.
(avec agences et médias)