Le Japon, qui siégera l’an prochain au Conseil de sécurité des Nations unies, entend faire pression sur l’institution afin d’obtenir un siège permanent pour l’Afrique. Au moment de la création des Nations unies, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’objectif était de prévenir les conflits armés et les violences. Depuis des décennies, les plus importantes missions onusiennes de « maintien de la paix » sont déployées sur le continent africain. Le Conseil de sécurité de l’ONU compte 15 membres, dont 5 membres permanents (Chine, États-Unis, Russie, France et Royaume-Uni) et 10 membres élus par l’Assemblée générale pour une période de deux ans. Avec ses 54 pays membres et 1,3 milliard d’habitants, l’Afrique représente 25 % des membres de l’ONU. Cependant, le continent ne dispose que de deux à trois sièges non permanents au Conseil de sécurité, actuellement occupés par le Kenya, la Tunisie et le Niger. « 50 % des questions à l’ordre du jour du Conseil de sécurité et 70 % de celles inscrites au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies concernent l’Afrique », résumait, fin 2020, l’ex-président du Niger Mahamadou Issoufou.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la question de la représentativité se pose avec davantage d’acuité. Comment expliquer la contradiction d’une non-représentation de l’Afrique au Conseil de sécurité dans la catégorie des membres permanents, alors même que les questions africaines dominent son ordre du jour ? De quels moyens de pression l’Afrique dispose-t-elle pour obtenir un siège de membre permanent ? Cette question a été à l’agenda de l’Assemblée générale depuis des décennies sans aboutir jusqu’à présent.
L’Union africaine à travers le « C10 » – un groupe de dix pays mandatés par l’UA pour négocier la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies – réclame depuis plusieurs années une meilleure représentation au nom d’un rééquilibrage démographique. La réforme devra permettre d’accorder au moins deux sièges permanents à l’Afrique au sein de cet organe. Mais les membres permanents du Conseil réticents à une réforme font valoir l’instabilité politique persistante et la faible contribution financière de l’Afrique au budget des Nations unies (0,01 % en 2021, contre 25 % pour les États-Unis).
Guerre d’influence
L’Union africaine a reçu des soutiens de taille, comme celui de l’Allemagne, mais pas celui de la Chine, qui ne cesse d’exercer une emprise croissante sur les capitales africaines afin de les forcer à s’aligner sur ses intérêts diplomatiques en premier lieu. Pourtant, grâce aux votes africains, la Chine a pris la tête de quatre des quinze agences de l’ONU, dont l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
En pleine guerre d’influence entre les grandes puissances, le Japon entend bien, sur ce dossier, prendre la Chine à contre-pied. Le Premier ministre japonais Fumio Kishida s’est engagé dimanche au 8e sommet Ticad, à Tunis, à « remédier » à ce qu’il a pointé comme « une injustice historique » et à faire pression pour que le continent obtienne un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Le Japon entend « créer un environnement où le peuple africain pourra vivre en paix et sécurité afin que le continent puisse se développer », a-t-il expliqué, en visioconférence depuis Tokyo.
« Le Japon va renforcer son partenariat avec l’Afrique » et, l’an prochain, quand il sera au Conseil de sécurité avec un siège non permanent (2023 et 2024), il plaidera pour une réforme de l’ONU et l’obtention d’un siège permanent pour le continent, a-t-il poursuivi. Ce sera « un moment de vérité pour les Nations unies », a dit le Premier ministre Kishida, resté à Tokyo pour cause de Covid-19. « Dans le but pour l’ONU de travailler efficacement pour la paix et la stabilité, il est urgent de renforcer l’ONU à travers une réforme du Conseil de sécurité », a-t-il dit.
Cette thématique a été longuement développée par le président sénégalais et président en exercice de l’Union africaine (UA) Macky Sall, réclamant que « les mentalités changent ». « Ce qui nous déstabilise et nous empêche de nous développer doit être pris en compte par le Conseil de sécurité dont c’est la mission », a ajouté le chef de l’État sénégalais depuis Tunis. « L’Afrique est le ventre mou du terrorisme international », « il faut une réponse globale », a-t-il plaidé.
« Une nouvelle approche »
Soulignant devant la presse que certains pays d’Afrique de l’Ouest « consacrent 30 % de leur budget à la lutte contre le terrorisme », Macky Sall a plaidé pour que « ces nouvelles charges » pour les armées africaines « soient sorties du calcul du déficit ». Il a appelé en outre les bailleurs de fonds à contribuer au Fonds de l’UA pour la paix.
Le Japon, qui a annoncé samedi l’octroi de 30 milliards de dollars de fonds privés et publics à l’Afrique sur trois ans, a prévu un volet « paix et sécurité » pour la formation de policiers, l’aide à l’organisation d’élections, le contrôle des frontières. Le Premier ministre Kishida a aussi évoqué la situation « qui se dégrade avec davantage de réfugiés et des pénuries alimentaires dans la corne de l’Afrique », où le Japon « va nommer un ambassadeur ».
« Le continent africain continue de souffrir, on y a vu des actes répétés de violence. Tristement en Libye, la situation s’est enflammée de nouveau hier », a abondé devant les médias le président tunisien Kaïs Saïed, hôte du sommet. Comme Macky Sall, le dirigeant tunisien a réclamé « une nouvelle approche » internationale pour l’aide au développement à l’Afrique, pour les pays très endettés (comme la Tunisie) et à transformer « les dettes en investissements ».
Fumio Kishida a dans ce sens remercié l’Union africaine et la Cedeao (Communauté des États d’Afrique de l’Ouest) pour « leurs médiations dans la prévention des conflits », estimant qu’il faut aussi « régler les problèmes transfrontaliers ». Le Japon offrira ainsi une aide concrète de 8,3 millions de dollars pour la région du Liptako-Gourma, à cheval sur Mali, Burkina Faso et Niger, pour « développer une bonne coopération entre les résidents et les autorités locales » et « améliorer les services administratifs à destination de 5 millions d’habitants de cette zone ».
(avec agences et médias)