Le théologien, prédicateur et universitaire qatarien d’origine égyptienne, Youssef Al-Qaradawi, est mort lundi 26 septembre 2022 à l’âge de 96 ans des suites de maladie. Connu pour ses postures islamistes radicales, Youssef Al Qaradawi est l’un des idéologues les plus éminents associés à la confrérie des Frères musulmans. Le célèbre prédicateur, dont les sermons étaient souvent retransmis par la chaîne satellitaire qatarie Al-Jazeera, était également président de l’Union internationale des Oulémas musulmans et membre du Conseil européen de la Fatwa. Il était proche du mouvement Ennahdha et de son chef Rached Ghannouchi. Considéré comme l’un des pères spirituels de la confrérie fondée en 1928 en Égypte, Youssef Al-Qaradawi a été emprisonné à plusieurs reprises dans son pays où les Frères musulmans sont désormais considérés comme « terroristes » et encourent la peine de mort pour appartenance à leur organisation. Condamné par contumace à la peine de mort en Égypte, Cheikh Al-Qaradawi vit depuis de longues années au Qatar qui ne s’est réconcilié que récemment avec l’Égypte, désormais dirigée par l’ancien maréchal Abdel Fattah al-Sissi.
Né en 1926, Youssef al-Qaradawi grandit dans une Égypte encore sous domination coloniale britannique. Dans sa jeunesse, il mêle éducation religieuse et activisme anticolonial, une combinaison qui le conduit à se faire arrêter plusieurs fois par le gouvernement égyptien. Après l’indépendance de l’Égypte, son association avec les Frères musulmans – fondés en 1928 alors que Qaradawi avait 2 ans – conduit également à son arrestation par le président nationaliste arabe Gamal Abdul Nasser dans les années 1950. Il quitte finalement l’Égypte pour le Qatar au début des années 1960, lorsqu’il est nommé doyen de la Faculté de la charia à l’Université du Qatar nouvellement créée, et il obtient la citoyenneté qatarie en 1968.
Au Qatar, il devient célèbre avec son livre Fiqh al-Zakat (la jurisprudence de la zakat), publié en 1973, dans lequel il cherche à expliquer et réformer les règles régissant la zakat, l’un des cinq piliers de l’islam, centré sur l’aumône obligatoire. Qaradawi considère que ses efforts d’interprétation et d’enseignement public participent d’un projet de renouveau islamique enraciné dans le mouvement de réforme du XIXe siècle connu sous le nom de Modernisme islamique et inauguré par Jamal al-Din al-Afghani et son étudiant égyptien, Mohamed Abduh.
Par opposition au salafisme, Yousef al-Qaradawi se livre à de violentes polémiques avec des prédicateurs djihadistes salafistes et d’autres personnes se livrant au takfir. En 2009, il publie La Jurisprudence du djihad, un ouvrage en deux volumes dans lequel il affirme la légitimité du droit international et la structure institutionnelle des Nations unies, contrairement aux affirmations de l’idéologie djihadiste salafiste. Avec d’autres théologiens aux opinions similaires, Qaradawi crée le Conseil européen pour la fatwa et la recherche.
En outre, Qaradawi est prêt à adopter une rhétorique à la fois d’exclusion et qui justifie la résistance violente en des termes souvent incompatibles avec ses autres écrits. Il conclut qu’un ennemi est motivé par l’animosité antimusulmane, comme le sont selon lui le sionisme, le communisme ou, plus tard dans sa vie, l’animosité contre les sunnites dans le cas du gouvernement syrien. Sa défense des attentats-suicides palestiniens contre Israël au cours de la seconde Intifada lui vaut un déshonneur durable en Occident. Il est accusé dans le monde arabe d’avoir ouvert la voie à l’adoption de cette tactique par des groupes djihadistes salafistes comme al-Qaïda. En outre, sa rhétorique ouvertement sectaire pendant la guerre civile syrienne suggère considère les développements en Syrie comme un conflit existentiel entre le sunnisme et le chiisme, plutôt qu’une révolution populaire contre un dictateur.
Yousef al-Qaradawi bénéficie grandement de la création d’Al Jazeera, la chaîne d’information satellitaire qatarie. Son émission hebdomadaire, « Ash-Shariah wal-Hayat » (la loi islamique et la vie), est un talk-show associé à un forum public interactif, dans lequel Qaradawi s’engage dans une discussion publique et prend en direct les questions des téléspectateurs qui appellent de partout dans le monde arabe et au-delà.
Les premiers jours du Printemps arabe et son sermon sur la place Tahrir marquent le summum de sa carrière de prédicateur public, mais le moment s’avère de courte durée. En 2013, la contre-révolution égyptienne est en cours, Mohamed Morsi a été emprisonné et remplacé par le général devenu président Abdel Fattah al-Sissi et la confrérie des Frères musulmans a été interdite une fois de plus. Qaradawi fait l’objet d’un avis de recherche délivré par Interpol – par la suite annulé par l’organisation policière internationale car jugé à caractère politique – et en 2018, il est condamné par contumace à la prison à vie par un tribunal militaire égyptien.
(avec agences et médias)