Décidément la loi de finances 2023, n’a pas été bien reçue par le public, que ce soit par les experts en la matière ou les juristes dont notamment le bâtonnier de l’ordre national des avocats ou encore le président de l’association des magistrats tunisiens (AMT). Tout le monde s’accorde à dire qu’il y a de nouvelles pressions fiscales avec des mesures douloureuses pour certains secteurs économiques. Pour la ministre des Finances Sihem Nemsia Boughdiri, « l’élaboration du projet de loi de finances a été réalisée en concertation avec toutes les structures et organisations nationales ». Ce que contestent certaines organisations telles que la centrale syndicale, dont le secrétaire général adjoint Sami Tahri affirme que « le draft dudit projet a été fuité »,
Le président de l’AMT qui a même déclaré que « que celui qui consulte le projet de la loi des finances au titre de l’année 2023 et les articles liés au ministère de la justice, remarquera forcément l’absence de budgets au tribunal administratif et au conseiller de la justice judiciaire ». Il conclut par-là que « le pouvoir exécutif continue à négliger le pouvoir judiciaire et ses institutions », précisant que ladite loi a transformé le conseil de la justice judiciaire en une structure formelle relevant du ministère de la justice chose qui est non conforme aux normes internationales de l’indépendance de la justice, de l’Etat des droits et des institutions ».
Sans perspective claire
Quant au bâtonnier Hatem Mziou, il considère que « c’est une loi de l’Etat fiscal, promulguée sans aucune vision claire et sans futur ». Ce qu’il conteste notamment c’est d’une part l’augmentation de la TVA et la suppression du secret professionnel. Pour ce qui est de la TVA, elle se répercutera infailliblement sur le citoyen puisque c’est lui qui en fin de compte est appelé à la supporter. Quant à la levée du secret professionnel elle est contraire à l’intégrité personnelle, protégée par la loi et elle ne peut juridiquement être levée que par décision judiciaire.
Cela est dû au fait que selon certains experts : « l’État compte augmenter les recettes fiscales de plus 15%, alors que le pouvoir d’achat du citoyen est en chute libre, le gouvernement compte sur lui en tant que contribuable pour remplir ses caisses ». Donc tous les moyens sont bons. Malgré la crise, l’État n’a pas freiné ses dépenses. Tout cela va se répercuter sur le citoyen. La nouvelle loi comporterait également un impôt sur la fortune. C’est un impôt solidaire sur les biens immobiliers appliqué chaque mois de janvier et en fonction de la valeur des biens à la date du 31 décembre de l’année d’avant. Le document évoquerait également la révision à la hausse des contributions sociales des entreprises afin de renforcer la stabilité financière des caisses sociales.
Une décision unilatérale
La loi de finances 2023 est selon la centrale syndicale : « une décision unilatérale adoptée par le gouvernement » et contre laquelle Noureddine Taboubi a mis en garde.
Finalement et tel que l’a déclaré dernièrement le bâtonnier Hatem Mziou : « Le pouvoir en place a adopté les mêmes politiques élaborées par les anciens gouvernements. L’Ordre des avocats n’acceptera plus la nouvelle loi de finances et publiera une motion de recommandations, pour appeler les autorités concernées à réviser les nouvelles décisions. Il a été décidé, dans le même contexte, de déposer un recours dans les règles devant le Tribunal administratif pour rejeter la loi de finances 2023 ».
Et si le Tribunal administratif décidait du rejet de la loi de finances en déclarant recevable l’action du bâtonnier ?
Cela serait une première dans l’histoire de la loi de finances tunisienne. Car tout d’abord il ne s’agit pas d’une loi, mais d’un décret-loi, promulgué en période d’exception. Il ne faut pas oublier que la période d’exception n’a pas encore pris fin malgré la fin des législatives et ce, conformément au principe du parallélisme des formes : la période d’exception ayant été déclarée par décret-loi elle doit également prendre fin par décret-loi. Ce qui fait que les décrets-lois pris pendant la période d’exception ne peuvent être annulés en principe que par la Cour Constitutionnelle. Cependant en l’absence actuellement de ladite cour, pour laquelle d’ailleurs la nouvelle loi de finances n’a rien prévu, le tribunal administratif pourrait peut-être y statuer.
Dans ce cas et si elle ne se déclare pas incompétente, elle ne va pas forcément statuer dans le même sens que le bâtonnier. Cela dépend comment ce dernier va présenter sa requête. Peut-être demandera -t-il la suspension provisoire de la loi de finances, une décision que peut prendre le Tribunal en attendant de se prononcer sur le fond. Mais d’ores et déjà le gouvernement peut ne pas tenir compte de cette décision, comme ce fut le cas auparavant concernant la décision relative à l’affaire de révocation des magistrats.
Quoi qu’il en soit et de l’avis de la plupart des observateurs, ne vaut-il pas mieux une révision de ladite loi de finances dans le sens requis par la majorité des parties prenantes de la société civile ?
Ahmed NEMLAGHI