Décédée le 12 janvier 2023, à l’âge de 46 ans, dans l’une des cellules de la Garde zonale du commissariat de la rue Royale à Bruxelles dans des conditions suspectes et des circonstances qualifiées d’imprécises et ambiguës, la Tunisienne, ou plus précisément Belge d’origine tunisienne, Sourour Abouda était travailleuse sociale chez Présence et action culturelles (Pac). Cette femme sociable, active, épanouie et bien-aimée de ses proches et ses amis, s’est suicidée, selon la version de la police belge et les déclarations officielles. La famille rejette cette thèse, insiste sur la divulgation de toutes les circonstances et tient à ce que l’affaire soit prise en charge et traitée par un juge d’instruction.
D’après un article publié le 21 avril dernier dans la revue belge d’analyse et de débat portant le nom : « Politique », la geôle où Sourour Abouda a quitté la vie est « sous la responsabilité d’un service de la police de Bruxelles Capitale nommé Mercure ». « Les 18 cellules du sous-sol sont supposées être aux normes. Pourtant, dans la pratique policière, ces dispositifs de prévention du suicide et des violences génèrent plus de morts que l’ancien régime cellulaire », indique le même article intitulé « Sourour Abouda : le racisme comme régime d’inattention » et rédigé par Martin vander Elst et Anas Amara qui ont signalé un « rôle politique racial clairement joué par le parquet dans toutes les affaires de violences policières ».
Conjointement avec la célébration de la fête des mères, un rassemblement appelant à rendre justice à Sourour et à la divulgation de toute la vérité relative à cette affaire a eu lieu le 15 mai courant devant le palais de justice de Bruxelles.
« Sourour Abouda a perdu la vie dans un commissariat de la rue Royale à Bruxelles le 12 janvier 2023. Cinq mois plus tard, les résultats d’autopsie n’ont toujours pas été révélés, et absolument rien n’a été fait par l’État pour soutenir la famille. Le comité P – La police des polices – à jusqu’ici eu la ferme intention de garder l’affaire entre leurs mains, mais à partir du 9 mai, la famille va porter l’affaire devant un juge d’instruction et se constituer enfin partie civile. Cette affaire sera donc jugée par une instance indépendante. Nous sommes au début du combat qui lui rendra justice. Nous connaissons les noms de Samira, Mawda, Adil, Mehdi, Ibrahima… Au-delà de ces victimes dont les noms ont pu émerger et être prononcés, plusieurs dizaines de personnes sont mortes sans qu’on en parle et sans personne pour les défendre en Belgique. C’est le cas de Ilyes Abbedou et Mohamed Amine Berkane, deux jeunes Algériens morts dans le même commissariat que Sourour en 2021. Ou bien même, Imed, nouvelle victime décédée de violences policières en date du 23 mars dernier… Sourour était une maman aimante … Sourour était une fille aimée. Sourour était connue et appréciée à Bruxelles … Son nom résonne fort, et la révolte collective ne fera que grandir. A travers le combat pour lui rendre justice, nous voulons nous battre pour tous les autres. Pour que le racisme, les violences policières et l’impunité des agents de l’Etat cessent … », lit-on dans le texte de l’appel à la participation au rassemblement.
Selon un reportage réalisé par RTL info, 300 personnes ont participé à ce rassemblement, et ce, en guise de soutien à la famille de Sourour Abouda et ont également dénoncé « le fait que le parquet n’ait toujours pas mis cette affaire à l’instruction ». Dans le même contexte, et lors d’une déclaration accordée à RTL info, l’avocate de la famille, Selma Ben Khelifa, a indiqué que cette mobilisation s’inscrit, d’après ses mots, dans le cadre de la revendication de la cessation des violences policières ayant touché et endeuillé de nombreuses familles.
« Allan le fils de Sourour n’a plus sa mère, la maman de Sourour n’a plus sa fille et d’autres victimes de violences policières n’ont plus leurs enfants, et on voulait utiliser ce jour symbolique pour rappeler que les violences policières touchent des familles … endeuillent des familles … et que ça doit cesser. C’est très important pour la famille d’avoir enfin un juge d’instruction sur cette affaire parce que le parquet refuse de nous donner toute indication sur l’état d’avancement de l’enquête », a-t-elle ajouté.
Entretien avec le frère de la victime, Bayram Abouda :
Interviewé ce mercredi, le 17 mai 2023, par le Temps News, le frère de la victime, Bayram Abouda, a indiqué que sa famille a tenu à ce que l’affaire soit mise à l’instruction et a également organisé deux conférences de presse afin d’annoncer le fait qu’ils veulent que l’affaire soit traitée par un juge d’instruction. Dans environ 10 jours, et après l’approbation obtenue le 9 mai 2023, la famille de Sourour Abouda sera informée du nom du juge qui prendra l’affaire en mains.
« Deux policiers en uniforme et une assistance de police sont arrivés pour prendre contact avec le fils de Sourour et ma maman dans l’appartement de ma sœur parce qu’elle l’attendait et ils ont annoncé la thèse du suicide .. Pour nous c’était hors de question d’accepter cette thèse parce que ma sœur Sourour avait une vie sociale active … Elle avait tellement d’amis et elle était aimée par beaucoup de gens … Elle travaillait dans le domaine associatif et elle connaissait la plupart des journalistes vu qu’elle a travaillé pour la télévision Belge … Moi je suis artiste plasticien, ma sœur est musicienne et c’est notre sœur Sourour qui nous a aidé et nous a poussé dans cette voie …», a expliqué notre interlocuteur.
Et d’ajouter : « En ce qui concerne les faits : le 11 janvier, et après avoir passé la soirée de fin d’année de l’ONG dans laquelle elle travaille, notre sœur a décidé de continuer et de retrouver ses amis pour continuer la soirée et ça a duré disant jusqu’à 6h du matin .. Elle a été dans plusieurs endroits et alors il arrive un moment où elle devait rentrer à la maison … En sortant du café où elle était, et au lieu de se diriger vers le taxi qu’elle avait commandé, elle est rentrée dans une autre voiture qui était en double stationnement … Suite à cette confusion, les propriétaires de la voiture ont appelé la police … ».
Bayram Abouda nous a informé, en outre, que la famille n’a pas encore pu accéder aux enregistrements des caméras placées dans la camionnette de police et aux vidéos filmant ce qui s’est passé durant le trajet et le moment où elle est arrivée, et qu’elle était seulement autorisée à accéder à une vidéo partielle filmant une partie de ce qui s’est passé après l’arrestation et après l’arrivée et le transfert à la cellule.
« Nous n’étions autorisés qu’à l’accès à une séquence partielle filmant le moment où elle est rentrée dans la cellule … Dans cette vidéo, on ne la voit pas entrer dans la cellule et on ne la voit pas au début mettre les choses à leurs places comme si elle était chez elle d’une manière très propre et ordonnée … Ensuite, on voit qu’elle commence à se sentir pas bien, et là elle arrive devant la caméra et elle communique avec les policiers pour demander de l’aide et il ne répondent pas … Elle semblait aussi être en communication avec un policier derrière la porte … On sent le malaise dans son visage et dans son attitude … Après avoir essayé d’exprimer un grand malaise, comme si elle voulait dire : j’étouffe ! et en arrivant devant la porte, elle tomba en quelques secondes … Ils ont laissé ma sœur une heure et dix minutes sans surveillance en train d’agoniser par terre … En ouvrant la porte, il leur a fallu encore 40 minutes pour déclarer sa mort … Donc, en 40 minutes, elle était encore en vie, jusqu’au moment où son cœur s’est arrêté … Et alors là, ils ont déclaré sa mort à 8h38 … », a-t-il expliqué tout en notant qu’ils comptent organiser bientôt une conférence de presse en Tunisie.
En ce qui concerne l’interaction des autorités tunisiennes, Bayram a indiqué qu’elles étaient très réactives au niveau des autorisations et des procédures relatives à la contre-autopsie en autorisant la levée de corps et en assurant le suivi nécessaire sur tous les niveaux par l’ambassade.
« Dans chaque province de Belgique, il y a un médecin légiste qui peut pratiquer les autopsies de l’État. On a fait tout le tour de ces médecins pour accomplir l’étape de la contre-autopsie, et ils ont tous refusé en fait … C’était 4 à 5 médecins qui ont refusé de pratiquer l’autopsie, et ce, pour éviter, peut-être , de contredire l’État … Finalement, on a eu l’aide du consul et de l’ambassadeur à l’époque Nabil Ammar, et on a finalement pratiqué la contre-autopsie à l’hôpital de Charles Nicolle à Tunis », a-t-il ajouté.
Rym CHAABANI