Par Raouf Khalsi
Que les syndicats des magistrats craignent pour leur indépendance vis-à-vis de l’Exécutif, cela se comprend. Ils ont oublié, soit dit en passant, leurs tentatives répétées d’installer le fameux « gouvernement des juges », surtout à l’époque de Béji Caïd Essebsi. Mais qu’Ennahdha réagisse par un communiqué sur sa page Facebook, à la décision du Président d’entamer (et de légiférer) la refonte du Conseil supérieur de la magistrature, jugeant, par extension qu’il s’agit là d’une concentration des pouvoirs aux mains d’un seul homme (et, donc, de la dictature à ses yeux), là, elle devient convaincante. Parce que la dictature, elle s’y connait.
Ce qui étonne davantage, c’est que Rached Ghannouchi n’a pas l’air d’avoir compris ce qui se passe dans ce pays, depuis le 25 Juillet.
Elle n’a pas saisi la portée des menaces (les fameux missiles) lancées par Kais Saied. Quelque part, il n’y a pas qu’Ennahdha, ses pare-chocs et leurs lobbys qui aient sous-estimé la force insidieuse d’un banal article constitutionnel (l’article 80), ostensiblement introduit dans une constitution qui avait la prétention (paradoxale) de verrouiller le système et de chasser à tout jamais les « démons » du présidentialisme. On le sait : on a beau verrouiller toutes les portes, calfeutrer toutes les fenêtres, « le diable » entre quand même par le trou de la serrure !
S’il est vrai que la Justice reste une grande hypothèse, parce que ses méandres sont tortueux et, souvent, indéchiffrables, il est tout aussi vrai qu’elle est d’abord une affaire d’hommes (et de femmes) qui peuvent toujours l’engager sur certaines trajectoires finissant par générer autant de dérives.
La Justice est-elle aussi aveugle, comme elle doit l’être ? Chez nous, en tous les cas, elle ne l’a jamais été. Et, durant ces dix dernières années, elle a été borgne.
Qu’a fait Ennahdha de la Justice ? Comment l’a-t-elle asservie ? Combien d’affaires ont été enclenchées dans un pur esprit de chasse aux sorcières ? Comment Béchir Akrémi et Tayeb Rached ont-ils jonglé avec les dossiers épineux ? Combien de juges honnêtes ont-ils été radiés ou écartés ?
Sans doute, cette refonte ne doit-elle pas se faire dans des relents d’unilatéralisme. Sans doute aussi, faut-il veiller à l’indépendance de la magistrature…Sauf que cette réforme doit se faire. Ennahdha doit s’y résigner…