Anas Hmaïdi, président de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) est convoqué à comparaître devant le juge d’instruction près le Tribunal de première instance du Kef, pour y être auditionné, demain, lundi 20 août 2023. Il est accusé d’entrave à la liberté de travail, qui lui a été imputée lors de la grève des magistrats, en juin 2022, suite à la révocation des 57 magistrats. C’est ce qu’a indiqué, jeudi dernier, Ayachi Hammami en tant que porte-parole du comité de défense des magistrats révoqués Selon le comité de défense : « Les poursuites engagées contre Anas Hmaïdi par la ministre de la Justice et le parquet, notamment après son passage devant le conseil de discipline et l’enquête à cause de ses activités de président de l’AMT défendant les intérêts des magistrats sont dans le cadre de la poursuite des atteintes du pouvoir établi à l’indépendance de la justice et des atteintes au droit d’expression des magistrats quant à leur refus de l’assujettissement de la justice ».
Pour ledit comité « ce procès intenté contre Hmaïdi témoigne de la persistance du ciblage du droit syndical des magistrats et de la poursuite du harcèlement des magistrats en exercice, en cherchant à semer un climat de peur et d’intimidation dans leur rang ».
En fait, bien que le droit de grève soit reconnu selon la Constitution de 2022, il est cependant interdit aux magistrats ainsi qu’aux forces armées. Selon son article 41, « Le droit syndical, y compris le droit de grève, est garanti. Ce droit ne s’applique pas à l’Armée nationale. Les magistrats, les forces de sécurité intérieure et la douane ne disposent pas du droit de grève » Ce qui veut dire clairement que les magistrats bénéficient du droit syndical mais non du droit de grève. D’autant plus qu’il s’agit désormais d’une fonction et non d’un pouvoir judiciaire. Or les structures judiciaires telles que le syndicat et surtout l’Association des magistrats tunisiens (AMT) ont plusieurs fois, observé la grève pour dénoncer l’atteinte à l’indépendance de la magistrature, que ce soit durant la dernière décennie ou après le 25 juillet 2021, notamment suite au limogeage par le président de la République de 57 magistrats. Cela a été considéré non seulement comme un abus de pouvoir avec une révocation sur le tas sans l’intervention de l’organe compétent en matière disciplinaire, à savoir le conseil supérieur de la magistrature, qui sera également dissous par la suite et remplacé par le conseil provisoire de la magistrature, mais aussi une ingérence flagrante de l’exécutif dans les prérogatives de l’organe judiciaire.
Intégrité du juge et intérêt suprême du pays
Pour Kais Saied, cet acte s’explique par l’atteinte à la sécurité publique et à l’intérêt suprême du pays par les juges qui ont enfreint leur devoir de réserve. D’autant plus que parmi les magistrats révoqués il y a ceux qui sont soupçonnés d’avoir entravé l’enquête sur les assassinats des deux martyrs Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Lesdits magistrats ont entretemps présenté un recours devant le Tribunal administratif, qui a ordonné la suspension provisoire du décret les révoquant en attendant sa décision sur le fonds. Toutefois, le ministère de la justice a passé outre la décision de suspension provisoire, bien qu’elle ait été notifiée par voie d’huissier de justice, et a considéré leur révocation comme étant définitive en leur allouant une indemnité de licenciement, qui du reste n’a pas été perçue par les magistrats concernés. La ministre de la justice a déposé des recours au pénal à l’encontre de certains magistrats pour différents manquements et délits. Actuellement ce sont notamment les deux magistrats qui sont arrêtés et poursuivis, l’un de corruption, à savoir Taieb Rached l’ex-premier président de la cour de cassation et l’autre, à savoir Béchir Akrémi, accusé de malversations, faux et usage de faux tendant à occulter la vérité dans les affaires des assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. C’est dans cette conjoncture que le président de l’AMT Anis Hmaidi a réagi pour défendre notamment les magistrats révoqués et au-delà l’indépendance de la justice.
Les intérêts des justiciables en jeu
Toutefois on est en droit de se demander si c’est vraiment le droit syndical des magistrats qui est ciblé à travers la poursuite de Anis Hmaïdi ? Tout en restant dans les limites imposées par le secret de l’instruction, on ne peut s’empêcher d’affirmer que le fait d’inciter à la grève constitue en lui-même une enfreinte de la loi. Bien que revendiquée par les structures judiciaires dont l’AMT, la grève des magistrats est interdite. Les justiciables ont bel et bien écopé d’une grève prolongée des magistrats, ce qui a nui à leurs intérêts. D’ailleurs selon Ayachi Hammami, « Anas Hmaïdi est poursuivi pour entrave à la liberté de travail », suite à sa participation active à la grève des magistrats observée à la suite de la radiation de 57 de leurs collègues ». Certes il devait voyager pour recevoir le prix de la défense de l’indépendance de la justice, décerné pour la première fois par l’Union internationale des magistrats (UIM) à l’AMT. Mais étant impliqué dans cette affaire, il a été en même temps interdit de voyager. Selon Ayachi Hammami « le pouvoir cherche à empêcher le président de l’AMT de voyager et de défendre la cause de ses collègues devant les instances internationales ». Ce à quoi d’autres observateurs rétorquent qu’en ce qui concerne le prix décerné à l’AMT, Hmaïdi peut charger un autre membre de l’Association pour aller recevoir le prix en ses lieu et place. Et de toutes les façons il faut faire la part des choses comme concernant la condamnation de la révocation des 57 magistrats parmi lesquels il s’est avéré qu’il y a parmi eux, ceux qui sont gravement impliqués dans des délits tels que le magistrat Béchir Akremi qui est actuellement en train de tourner en rond , en refusant de comparaître devant le juge d’instruction., après avoir essayé de se faire passer, à un moment donné de l’enquête, pour quelqu’un qui ne jouit de ses facultés mentales.
La part des choses est à faire en l’occurrence entre syndicalisme et corporatisme. Ce dernier ne peut qu’inciter à prendre des attitudes partiales, arbitraires et souvent tendancieuses. En l’occurrence c’est le bras de fer entre le corps judiciaire et l’exécutif qui a amené à une situation d’une altération de la justice qui est actuellement l’homme malade qu’il faut sauver, en mettant fin à tous les tiraillements politiques qui ont nui durant cette dernière décennie à l’indépendance des magistrats et par là-même à leur honnêteté et leur intégrité. Celle-ci est tributaire de leur attitude qui doit rester neutre, en dépit de celle de l’exécutif, qui ne peut en aucun cas empiéter sur les prérogatives du judiciaire dont le rôle essentiel est de dire le droit, sous la seule autorité de la loi.
Ahmed NEMLAGHI