La chambre pénale spécialisée en justice transitionnelle a émis dernièrement une interdiction de voyager contre plusieurs anciens hauts cadres sécuritaires ainsi qu’à l’encontre de l’ancien ministre de l’Intérieur avant 2011, Abdallah Kallel, d’un haut responsable sécuritaire de l’époque, Zouheir Redissi et de l’ancien directeur de la sûreté de l’Etat Ezzeddine Jenayah. Ces mesures ont été décidées dans le cadre d’une affaire dont le plaignant, Mohamed Kossai Jaibi, a allégué qu’il avait été torturé dans les locaux du ministère de l’Intérieur durant les années 1990.
Si les faits remontent à plus d’une vingtaine d’années, il n’empêche qu’il est toujours possible au plaignant de demander réparation, étant donné qu’en matière de torture il n’y a pas de prescription et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la chambre pénale en justice transitionnelle l’a déclaré recevable. Cette juridiction a d’ailleurs examiné préalablement des affaires de torture dont les faits remontent à l’aube de l’indépendance, soit au cours des années 1956.
Les affaires de torture imprescriptibles
Sur le fond les affaires de torture se suivent et ne se ressemblent pas. Elles sont tributaires de la conjoncture politique du moment. Dans cette affaire le plaignant, qui était proche du mouvement Ennahdha a avancé qu’il a été torturé, pendant la période où Aballah Kallel était ministre de l’Intérieur. C’est ce qui explique que cet ancien ministre et les hauts responsables qui ont travaillé au ministère pendant cette période sont aujourd’hui interdits de voyager par la chambre pénale.
Le plaignant n’en démord pas et soutient mordicus : « Je ne veux plus qu’on me parle de réconciliation ! Je veux d’abord qu’il y ait jugement. L’ex-ministre de l’Intérieur Abdallah Kallel doit être jugé, lui et tous les autres qui ont touché à mon intégrité physique et surtout psychique. Les médias ne sont pas assez intéressés par une vraie justice mais nous n’abandonnerons, pas ».
Cela dit il faut que ces allégations soient corroborées par des preuves tangibles et c’est évidemment au tribunal d’étudier tous les éléments susceptibles de l’éclairer sur ce point.
Questions de preuves et de conjoncture
Cependant, deux questions se posent : comment parviendra-t-on à rassembler des preuves afin d’établir de manière indubitable la culpabilité des mis en cause surtout après tant d’années. A moins qu’il y ait eu des enregistrements ou des traces de violences, à travers des certificats médicaux et des constats de spécialistes surtout en ce qui concerne les agressions psychiques. Car, concernant les mis en cause il ne faut pas trop compter sur leurs aveux.
La deuxième question plus importante consiste à se demander pourquoi le tribunal s’est-il décidé à prendre des résolutions à l’encontre des suspects pendant cette période précise, alors que l’affaire était pendante depuis longtemps ? Est-ce à cause du fait qu’il est de plus en plus reproché aux tribunaux leur laxisme, d’une manière générale, ou à cause de la situation actuelle dans laquelle se trouvent les magistrats qui se rebiffent de plus en plus en essayant de se justifier et de s’imposer en tant que pouvoir à part entière en réclamant leur indépendance à cor et à cri ?
En tout état de cause et abstraction faite de toutes les supputations qu’essaient de faire les parties pour des raisons purement politiques, la torture policière en Tunisie a toujours préoccupé les observateurs et les défenseurs des droits de l’Homme que ce soit durant l’ancien régime ou après. Les associations de défense des droits de l’Homme ne cessent de tirer la sonnette d’alarme., car la torture reste d’actualité en dépit des acquis de la transition démocratique.
Il faut cependant faire la part des choses, entre le fait d’assurer la sécurité des citoyens en cas d’agression de la part de menaces ou d’attaques terroristes par exemple et le fait de procéder à des tortures à l’encontre d’un détenu pour lui arracher des aveux.
…Et l’assignation à résidence ?
Et puis on crie de plus en plus facilement à la torture même quand il s’agit de prévenir un danger imminent ou éviter que quelqu’un se dérobe à la justice.
A titre d’exemple, l’assignation à résidence est considérée par certains comme étant un moyen de torture psychique. Les avis sont partagés là-dessus, surtout lorsqu’elle est pratiquée d’une manière abusive et sans fondement juridique.
Les dernières assignations à résidence à l’encontre de Bhiri et de Beldi, commencent à prêter à équivoque car elle se prolongent indéfiniment dans le temps.
Il y a là un laxisme de la part de la justice qui n’a pas encore demandé à ce que les prévenus leurs soient présentés. Bhiri est l’arbre qui cache la forêt, car il y a avec lui Beldi, qu’on n’évoque presque jamais et qui a le droit de demander à comparaître en justice.
Quoi qu’il en soit il y aura certainement une issue avec soit la levée pure et simple de l’assignation par le ministre de la justice ou la remise des suspects au Pôle judiciaire.
Mais plus l’assignation se prolonge, plus certaines parties seront enclines à crier à la torture. Ce qui n’arrange pas du tout la situation
Ahmed NEMLAGHI