Par Raouf KHALSI
A quoi devions-nous nous attendre de la part du rejeton des Ottomans ? Qu’il tresse des lauriers autour la tête de Saied ? Qu’il félicite la Tunisie pour avoir démantelé le pouvoir des « Frères » ? Le président d’un pays qui donne asile à El Qaradhaoui voit capoter tous ses desseins régionaux, puisque ses têtes de pont en Tunisie sont tombées.
Pour autant, puisque ce grand château de cartes s’effondre, il faudra bien convenir que la diplomatie tunisienne est, quelque part, molle, tant dans ses réactions que dans sa façon d’enrober les relations bilatérales de formules désuètes, de clichés dépassés avec toutes les mutations géostratégiques qui se meuvent actuellement.
Kais Saied a réagi à sa manière, évoquant ces ingérences en ce recueillant sur la tombe de celui qui nous a rendus plus grands que nous le sommes en réalité.
Sauf que, lorsque le communiqué du ministère des Affaires étrangères prend des connotations conciliantes, parlant aussi « d’étonnement » et de « relations solides », là, il y a certainement quelque chose d’obséquieux, si ce n’est d’avilissant pour la Nation.
Les précédents sont là !
A l’évidence, on essaie cde ménager le chou et la chèvre. On a peur d’Erdogan. Erdogan fait même peur à l’Occident. Soit. Mais ses précédents avec la Tunisie sont là. Chaque fois qu’il vient chez nous, il débarque en conquérant se permettant toutes formes d’écarts de langage et d’insinuations idiotes et primitives.
Dès temps de Béji Caid Essebsi, il brandit le symbole Rabaâ. Le défunt Président n’a rien trouvé d’autre que de lui répondre qu’en Tunisie, nous n’avons qu’un seul drapeau. Ça ne veut rien dire. Quelques années après, il impose sa loi au Palais de Carthage devant les yeux de Kais Saied, allant jusqu’à lancer qu’il s’y dégageait une odeur de friture. Quelle a été la réaction de Saied, pourtant locataire de l’un des temples de notre souveraineté républicaine ? Aucune.
Maintenant que le vent a tourné pour les suppôts d’Erdogan en Tunisie, notre diplomatie a l’air d’avoir une longueur de retard par rapport à la réaction prévisible de sa part, après les mesures sécuritaires enclenchées contre les artisans de la plénière en visioconférence.
Normal et logique qu’Erdogan se comporte de la sorte, avec sa péremptoire arrogance et sa vulgarité, dès lors que nous ne faisons rien pour rééquilibrer une balance commerciale largement déficitaire au profit de la Turquie et que des centres névralgiques de l’infrastructure dans notre pays sont confiés aux Turcs !
Il ne suffit pas de protester. Aussi puissante que puisse être la Turquie, elle a quand même elle-aussi, son talent d’Achille. Quand on veut placarder un pays hégémoniste, il faut faire comme Bourguiba : revenir aux constantes diplomatiques, mais en raffermissant la souveraineté nationale. Et il faut aussi avoir présent à l’esprit que David a battu Goliath !
En 1964, Bourguiba a eu De Gaulle et la France sur le dos, pour avoir nationalisé les terres agricoles. La France nous a isolés, coupé les vannes, mais la Tunisie aura résisté, avant de porter le coup de grâce aux anciens colons avec l’évacuation et la bataille de Bizerte. De Gaulle tombait de son piédestal !
Quand Bourguiba fait plier Reagan !
Le 1er octobre 1985, le raid israélien de Hammam-Chatt faisait sortir le vieux lion de ses gonds. Bourguiba obtenait une condamnation de cet acte au Conseil de sécurité, acculant l’Amérique de Reagan dans ses ultimes retranchements, obtenant cette condamnation et réduisant l’Amérique à l’impuissance : elle s’est abstenue mais, pour la première fois, elle n’a pas opposé de véto. Simplement, parce qu’au cas contraire, Bourguiba aurait rompu les relations diplomatiques avec les Etats-Unis.
La fierté, la souveraineté d’abord, la coopération ensuite. Ce sont les fondements anciens de la diplomatie tunisienne.
Et, d’ailleurs, Saied a l’air d’avoir enfin compris que l’orthodoxie bourguibienne représente un repère indiscutable.
On voit bien que l’Elysées, à travers le Quai d’Orsay a nuancé ses propos, après les remous de ces derniers jours. Plus de condamnation. Moins d’injonctions. Juste des formules tenant à la démocratie et, pour mieux édulcorer les formules, le soutien indéfectible de la France au peuple tunisien en cette difficile conjoncture socioéconomique.
Sauf que, de notre part, nous devrions quand même avoir le courage de notre politique.
Parce que, partout, l’Occident est aujourd’hui tourné en dérision pour son incapacité à contrer Poutine. Et, alors, jouons sur les équilibres géostratégiques, si ce n’est sur les déséquilibres. Ecoutons, toujours, Bourguiba…