Le président de la République a évoqué à deux reprises, durant la semaine écoulée, l’amendement de l’article 96 du Code pénal que de nombreux juristes et experts accusent d’être le principal boulet qui empêche les responsables et les hauts fonctionnaires au sein de l’administration publique de prendre des initiatives pour débloquer certaines situations sans risquer des poursuites judiciaires et des peines de prison ferme.
« Il y a une question très importante, un certain nombre de services publics ne fonctionnent pas normalement. Certains prennent l’article 96 du Code pénal pour prétexte pour ne pas s’acquitter convenablement de leurs tâches. Cet article sera amendé dans les plus brefs délais afin d’en finir avec ces prétextes », a-t-il annoncé lors d’une rencontre tenue mercredi avec le chef du gouvernement.
Et d’ajouter : « Dans l’une des recettes des finances, un contribuable a voulu payer ses dettes fiscales mais des receveurs de finances ont refusé ce règlement ».
Le locataire de Carthage a également évoqué l’amendement de cet article très controversé lors d’une rencontre tenue dans la soirée du vendredi avec le chef du gouvernement, Ahmed Hachani, la ministre de la Justice Leila Jaffel et la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Namsia.
« Nous allons réviser l’article 96 du Code pénal que beaucoup prennent pour prétexte pour ne pas assumer leurs responsabilités », a-t-il affirmé.
Alors que les citoyens ordinaires et les acteurs économiques se plaignent de l’immobilisme de l’administration publique, plusieurs juristes pointent cet article très répressif comme étant la cause qui bloque l’initiative auprès des responsables et empêche l’administration de se débarrasser de la chape de plomb qui l’étouffe depuis des décennies.
« Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende équivalente à l’avantage reçu ou le préjudice subi par l’administration tout fonctionnaire qui use de sa qualité pour se procurer à lui-même, procurer à un tiers, contrevient à un règlement ou cause un préjudice à toute structure dans laquelle l’Etat détient de manière directe ou indirecte une part quelconque », stipule cet article qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs.
Ne pas travailler pour éviter les démêlés avec la justice
Commentant cet article qui incrimine les simples fautes de gestion et le mauvais jugement d’un fonctionnaire même en l’absence d’éléments constitutifs intentionnels d’un crime ou d’un délit, un magistrat étranger a dit un jour à ses collègues tunisiens du pôle financier : « Avec l’article 96 du Code pénal, vous pouvez mettre toute la Tunisie en prison ».
D’après certains experts, cet article a été inséré en 1985 pour mettre en prison plusieurs proches de feu Mohamed M’zali, l’ancien premier ministre du Président Bourguiba. A cette époque le pouvoir de Bourguiba était chancelant et une vraie guerre de succession et de clans battait son plein dans les divers arcanes du pouvoir.
Sous le règne de Ben Ali, l’article 96 n’a pas été usé abusivement étant donné que les membres de l’opposition n’atteignaient jamais des postes de décision au sein de l’administration. Une véritable purge de l’administration a été cependant réalisée après la révolution grâce à cet arme juridique même une poignée seulement de fonctionnaires ont été depuis condamnés pour corruption.
Devant l’ampleur de cette purge, les responsables de l’ère post-révolution semblent avoir retenu la leçon. Pour eux la meilleure façon d’éviter les démêlés avec la justice est de ne pas travailler. Ces fonctionnaires ne prennent aucune décision et n’engagent aucunement leur responsabilité, et s’évertuent à geler les dossiers et à laisser passer le temps au grand dam des investisseurs et des citoyens lambda.
« L’administration se trouve ainsi sclérosée et aucune initiative n’est prise. La Banque Mondiale et d’autres bailleurs de fonds n’ont-t-ils pas relevé que des centaines de millions de dinars affectées à des projets demeurent non consommées ? La faute à ce fameux article 96 du Code pénal », analyse Khélil Lâajimi, ancien ministre et ex-conseiller à la Présidence de la République.
« Cette lourdeur administrative coûte au pays plusieurs points de croissance et les emplois qui en découlent. La dynamique économique se trouve ainsi bridée », a-t-il ajouté, indiquant que l’amendement de l’article 96 du Code pénal permettra de libérer les initiatives et d’enlever cette chape de plomb qui recouvre l’administration, en protégeant les fonctionnaires et en leur donnant l’envie de travailler dans la sérénité.
Walid KHEFIFI